Pour comprendre l’effet que Philippe Brach a sur la scène underground québécoise et pour une génération de mélomanes, je vous partage un message reçu il y a quelques jours par un.e relationniste de presse (dont je tairai l’identité) : « Suggestion musicale avant l’éclipse médiatique signée Phil Brach ». Ça donne une bonne idée de l’importance que l’auteur-compositeur-interprète de Chicoutimi a sur la scène musicale, et ce, malgré son quasi-silence des 3 dernières années et demie. Après le Show Chié, Brach tirait sa révérence dans un long message qui ressemblait à un avis de retraite avant de se retirer dans le bois.

C’est 3 ans et demi après ce message que Philippe Brach est revenu avec une annonce à deux semaines de la sortie de son quatrième album : Les gens qu’on aime. Même si six ans se sont écoulés entre Le silence des troupeaux et celui-ci, c’est vraiment dans la continuité que s’inscrit l’album. Brach pousse ici plus loin l’orchestration. Il précise dans les crédits que le tout a été enregistré en simultané sans clics et compte tenu de la difficulté de la chose, il est surprenant que le résultat soit si bien rendu. Même s’il s’excuse pour les bouts où ça dépasse, ils sont franchement marginaux et c’est surtout de beaux moments de musique organique qu’on retrouve sur ce nouvel album. Le tout est porté par un excellent groupe de musiciens que je vous invite à découvrir sur son bandcamp (ce serait trop long à énumérer ici).

Même si la plume de Brach, toujours à deux doigts de la manifestation, est encore présente comme le démontre Révolution (la chanson), une pièce qui pourrait aisément trouver sa place à la radio commerciale si ce n’était des quelques jurons du chanteur. Ce qui frappe dans celle-ci est la déconstruction qui arrive à mi-chemin alors que Brach semble être pris d’un ACV qui lui fait chanter dans un dialecte inconnu avant de se faire plonger la tête dans un baril d’eau un peu comme si on essayait de le noyer dans un interrogatoire. Il y a quelque chose de beau entre le ton un peu baveux qui parle des clichés des chansons de révolutions et de la violence des sons qui suivent comme si on tentait de le faire taire. Le tout est doublé d’un très bon riff de guitare, l’un des meilleurs de cet excellent album.

Il y a trois choses qu’on retrouve de Brach qui font plaisir : son ton irrévérencieux, taquin et à la limite de l’arrogance, sa poésie coupée au couteau et ses talents de compositeurs qui ne font que se raffiner avec le temps. D’ailleurs, la musique prend plus de place sur Les gens qu’on aime comme le démontre habilement la mélancolique chanson-titre. D’ailleurs, il commence celle-ci avec une phrase simple, crue et dure : « Heille, les gens qu’on aime vont tous mourir », avant de partir à rire et d’être doublés de rires en cannes. Est-ce qu’il rit pour ne pas pleurer? Il y a toujours eu un effet clown rouge chez Brach. En tout cas, même si le procédé ressemble un peu à The Flaming Lips sur Do You Realize?, nous sommes ici dans un terrain beaucoup plus confrontant. Outre cela, les orchestrations sont magnifiques sur la pièce.

Tu veux te tuer
Je t’aime et je te comprends
T’en vas pas

— Tu veux te tuer

Dans la catégorie des pièces qui misent sur une construction plus typique pour Brach, on retrouve la touchante Last Call où il utilise la nature pour décrire un peu les sentiments qu’il vit. On retrouve aussi le bon vieux Brach qui aime parfois utiliser certains psychotropes pour s’ouvrir l’esprit sur Tic Tac. Un peu de magie donne la place à la fois à un excellent riff de guitare et un très bon texte. J’ai de l’air est cajolé par le genre de cuivres qui réchauffent même par un vilain froid de novembre. OK Canada est certainement la pièce la plus bizarre de Les gens qu’on aime avec son traitement qui rappelle à la fois la musique d’église et le traitement mélancolique qu’A Perfect Circle avait fait vivre à Imagine de John Lennon. Brach le chante dans les deux langues, comme au début d’un match des Canadiens, avec un ton qui rappelle plus les tombes des enfants autochtones qu’on retrouve enfouies dans le silence que les élans glorieux du patriotisme.

Tout ça pour dire que malgré le buzz qui pourrait être une bonne raison d’avoir une attitude joviale, il est nécessaire de célébrer cet excellent nouvel album de Philippe Brach. Son meilleur de sa discographie. Philippe Brach compose mieux que jamais et il arrive au pied levé alors que l’avenir qui semble se dessiner sera difficile pour les prolétaires. Au moins, on pourra toujours suivre son élan sur Les oiseaux migrateurs : « Ah oui, redonne-moi du mush, qu’on s’en crisse de combien ça coûte, si tu penses que je vais scrapper les bons bouts… »