Critiques

Philémon Cimon

L’amour

  • Les Disques du Règne
  • 2021
  • 71 minutes
8,5
Le meilleur de lca

Je l’avoue d’entrée de jeu, je connais (musicalement) Philémon Cimon depuis quelques années, mais je n’ai jamais pu accrocher assez pour écouter un album au complet. J’avais quelques-unes de ses chansons ci et là dans mes listes de lecture, mais sans plus. Son plus récent album, L’amour, n’a pas connu le même sort dans mes oreilles. Je l’ai écouté sans relâche pendant des semaines. Je suis rentrée chez moi avec l’air de Joyce avait mon âge bien en tête plusieurs jours de suite.

Alors que je tentais d’expliquer ce phénomène avec ma collègue, j’ai trouvé la clé de voûte : l’accessibilité. Je crois que Philémon Cimon a offert son album le plus accessible en carrière avec L’amour, et c’est excellent. Mais ne vous inquiétez pas, l’artiste n’a rien perdu de sa poésie si typique. « L’amour est la réponse intime de Philémon Cimon à la pandémie, à la solitude et à l’angoisse que ça a créée chez lui, chez nous », apprend-on sur son Bandcamp. Et c’est réussi.

C’est bien connu, Philémon Cimon est un romantique qui aime écrire sur l’amour sous toutes ses formes. L’album L’amour n’y déroge pas. Cimon, qui en signe également la réalisation, y offre en ouverture de jolies pièces d’amour, des odes à la vie et à l’amitié.

Puis, surprise! L’amour dévoile son centre plus contestataire. Les pièces sur Joyce Echaquan se succèdent (Parler/changer, Joyce avait mon âge), suivies de celles sur la politique (Trump parle comme Elvis, M. l’premier ministre) et sur ses traumas familiaux (Les hommes de ma vie). Malgré la lourdeur apparente des thèmes, musicalement il n’en est rien.

Nombreux sont les artistes qui ont fait des pièces sur Joyce Echaquan et Georges Floyd. Mais Philémon Cimon réussit où certains se sont cassé les dents : il est pertinent et amène une lumière nouvelle sur la situation. Non seulement il souligne la jeunesse de Joyce, il se positionne en comparaison avec sa situation ( « Si c’tait moi qui étais mort / D’la même façon / Tout l’monde s’rait fou ») pour finalement souligner notre colonialisme.

Philémon Cimon, dans toute sa frustration contestataire, offre une seule et unique réponse : L’amour. Plus encore que le titre de l’album, c’est le credo de ce long format. Si parfois ça peut paraître un peu niais, il n’en est rien. Philémon Cimon se présente en quelque sorte comme le John Lennon de sa génération. Il offre la paix, la non-violence et l’amour comme uniques réponses aux maux qui nous terrassent présentement.

On sent parfois l’artiste être complètement perdu par rapport à ce qui se produit dans le monde : on le sent apeuré et paniqué dans Trump parle comme Elvis. Écrite en 2020, cette dernière lui offre un terrain de jeu mélodique dans lequel il avoue sa crainte de la réélection de Donald Trump et le possible déclenchement d’une guerre civile puis mondiale par sa faute. La pièce La guerre, qui fait suite à son antonyme La paix (jolie ballade sur notre besoin de se donner collectivement la paix et non plus la mort), lui permet une envolée lyrique sur ses incompréhensions modernes. La guerre offre une mélodie saccadée qui accompagne chacune des notes chantées. Un certain malaise demeure après l’écoute, mais une gêne qui fait réfléchir.

J’comprends pas l’idée d’faire la guerre
J’comprends pas l’idée d’avoir une idée
J’comprends pas d’être né ni d’mourir
J’comprends pas les enfants éclaboussés
Le viol des femmes le sam’di soir
Par les armées d’hommes détraqués

La guerre

Finalement, l’album se clôt avec la mordante M. l’premier ministre. Si son début peut ressembler à l’emblématique Le déserteur de Boris Vian, elle prend rapidement une tournure différente. M. l’premier ministre, pièce écrite deux jours après la mort de Joyce Echaquan, est franchement plus abrasive comme chanson que tout le reste de l’album. Elle se termine d’ailleurs sur un grand cri du cœur de Philémon Cimon.

Si y faut que j’crie tu seul
M’as crier en câlice
J’ai pas peur d’mon pénis
Pas peur des claques s’a yeule

Y’a du monde chaque jour
Qui meurent de not’ système
Moi j’dis y faut qu’on s’aime
Écouter, c’est l’amour

M. l’premier ministre

L’amour est certainement l’offrande la plus politisée et la plus lumineuse de l’artiste et elle vaut chacune des 71 minutes que dure l’écoute. C’est tout un voyage dans les entrailles de cet artiste qui a vécu la pandémie de plain-pied, lui qui s’est impliqué dans un CHSLD comme Aide service.

Crédit photo: Lucie Bergeron