Phil Bourg
01001001 01000011 01001001 (ICI)
- Indépendant
- 2021
- 38 minutes
Au cours des dix dernières années, en plus d’avoir roulé sa bosse au sein de diverses formations, Phil Bourg a œuvré aux côtés de Pierre Alexandre (Barrdo, Fuudge) à la concoction de la légendaire liste de Noël de Poulet Neige. Mais ce n’est pas tout. Ce fier descendant d’une famille indépendantiste acadienne a dans sa besace des études en conception électronique et en génie informatique. Il est donc devenu ingénieur et même chercheur principal en optique photonique, une ramification de la physique appliquée. Profondément dérangé par les mouvements populistes qui pullulent à l’intérieur de nos démocraties libérales, il a remisé au rancart sa carrière rassurante pour se consacrer pleinement à la musique.
À la fin de mai dernier, Bourg lançait son premier long format au titre rédigé en code binaire : 01001001 01000011 01001001 (ICI). Pour les besoins de cet article, nous le nommerons simplement ICI.
Accompagné par un groupe émérite, formé principalement de la section rythmique de la formation Fuudge (Pierre Alexandre et Olivier Laroche) et de l’excellent guitariste David-Boulet Tremblay (Harfang), l’artiste présente un album rock qui arpente les sentiers du prog, du stoner et du psychédélisme avec une fluidité déconcertante. Certes, on y entend la lourdeur de Fuudge, mais l’influence de Radiohead ne se cache pas bien loin. Bourg ajoute à sa formule des claviers, du Fender Rhodes et des cuivres qui sont judicieusement positionnés dans le mixage.
Ces chansons parfois lourdes s’accompagnent de textes engagés qui portent un regard lucide sur l’état des lieux dans nos contrées occidentales en quête de sens. Littérairement parlant, les textes auraient sans doute eu avantage à être resserrés, mais le propos, lui, est d’une clairvoyance implacable. De plus, la voix de Bourg, noyée dans des effets aériens, ajoute à l’atmosphère post-apocalyptique des chansons. Dans Les jours sombres, il aborde le fait que les concepts d’indépendance et de liberté aient été carrément détournés de leur valeur unificatrice par cette mouvance populiste haineuse :
Tant que le ciel sera en vacances, je serai
Absent pour constater les jours sombres.
Tant que mon peuple se laissera fondre dans les partis-pris
Dans leur filet de haine et de honte
Je contemplerai les jours pour nous voir affranchis
Défendre nos êtres et se libérer de nos chaînes
– Les jours sombres
Et pour une première offrande, la qualité compositionnelle est totalement au rendez-vous. En plein milieu de parcours de l’introductive Juste, Bourg et ses acolytes durcissent le ton plongeant dans un stoner rock des plus efficaces. Dans Les jours sombres, le refrain fédérateur et la conclusion cathartique sont des plus réussis. Le cocktail explosif de guitares et de claviers dans Réveille atteint de nouveau son climax à la toute fin. Le « ce que je veux », répété ad nauseam dans la pièce du même titre, se noie admirablement dans tout le magma sonore. Mais la pièce de résistance est sans contredit, l’instrumentale Constellation ; une pièce-fleuve d’une durée de onze minutes. La transition à la mi-parcours nous escorte vers une finale qui remémore le rock progressif des années 70, mais superbement modernisé grâce à ce subtil mélange de claviers et de cuivres.
Phil Bourg ne fait qu’à sa tête pour le plus grand plaisir de nos oreilles. ICI est une création engagée, assumée et qui contient juste assez de raffinement pour maintenir l’intensité à un niveau élevé. ICI est une magnifique entrée en matière pour un artiste qui mérite une bien meilleure visibilité.