Critiques

Perfume Genius

Ugly Season

  • Matador
  • 2022
  • 53 minutes
7,5

Les albums se suivent, mais ne se ressemblent pas pour Mike Hadreas, mieux connu sous son nom de scène Perfume Genius. Deux ans après avoir offert son disque le plus pop en carrière, le superbe Set My Heart on Fire Immediately, il fait paraître un disque volontairement plus abrasif, davantage porté sur l’expérimentation sonore, et qui révèle son talent pour les ambiances oniriques et inquiétantes.

La genèse d’Ugly Season remonte à 2019. Cette année-là, Perfume Genius a créé une série de chansons originales pour le spectacle de danse The Sun Still Burns Here, créé en collaboration avec la chorégraphe Kate Wallich et présenté en tournée à New York, Boston, Minneapolis et Seattle. Ce sont ces chansons qui forment la base de ce nouveau disque studio, le sixième en carrière pour Hadreas, incluant Pop Song et Eye in the Wall, qui avaient déjà fait l’objet d’une parution officielle.

Évidemment, Ugly Season ne s’appréhende pas de la même manière que les autres albums de Perfume Genius. Puisque les chansons ont été écrites avec l’idée d’une forme d’accompagnement visuel, elles sont surtout axées sur les atmosphères et les textures, évoquant parfois la musique de film ou la musique de chambre. Le disque vient d’ailleurs accompagné d’un court-métrage de Jacolby Satterwhite, connu pour son travail qui combine la performance vidéo et l’animation 3D.

Une telle approche comporte des avantages et des inconvénients pour Hadreas. D’un côté, ça lui permet beaucoup de libertés sur le plan de la forme puisqu’il n’est pas lié par le style « chanson ». Même la pièce qui s’intitule Pop Song s’éloigne du modèle conventionnel. Oui, la chanson est portée par une mélodie reconnaissable (une des rares sur l’album), mais l’accompagnement saccadé et la rythmique qui semble sans cesse sur le point de trébucher lui confèrent un petit air étrange.

Ça permet également à Hadreas d’explorer de nouvelles influences et de nouvelles familles de son. Une chanson comme Photograph, par exemple, aurait pu se retrouver sur son disque Too Bright (2014) sauf qu’au lieu de l’apprêter en formule piano-voix, elle est ici transformée par l’instrumentation électronique et son rythme d’inspiration trip-hop, avec de subtiles harmonies de cuivres. Ailleurs, Hadreas s’aventure dans la musique industrielle sur l’intense Hellbent, une des meilleures pièces de l’album, mais également une des plus étonnantes, portée par une pulsation frénétique, avec la voix modifiée électroniquement qui lui confère un petit air inquiétant.

Ailleurs, la nature du projet fait en sorte que la voix est souvent reléguée à l’arrière-plan, agissant soit comme ajout textural ou ponctuant les chansons d’interventions sporadiques. Ça fonctionne particulièrement bien sur un morceau comme Herem, où la voix de falsetto d’Hadreas s’élève au-dessus des ambiances de synthés et de flûte jusqu’à l’arrivée de puissants accords d’orgue qui font l’effet d’une messe noire aux accents moyen-orientaux. L’impact est saisissant sur le plan sonore, et on en saisit bien le potentiel dramatique malgré l’absence de support visuel.

Il y a néanmoins des moments où on sent que la musique a plus de difficultés à se suffire à elle-même. Une chanson comme Teeth ne contient pas vraiment de montée d’intensité, ce qui la rend un peu répétitive. Sans la voix d’Hadreas pour agir comme liant, certains titres rompent aussi le ton, surtout à mi-parcours lorsqu’on passe d’un interlude pour piano (Scherzo) au riff reggae de la chanson-titre.

On comprend Mike Hadreas d’avoir voulu immortaliser ces chansons pour en faire un album officiel de Perfume Genius. Réalisé par son fidèle complice Blake Mills, Ugly Season ne détonne aucunement dans le parcours créatif du musicien de 40 ans, mais en révèle plutôt une autre facette, axée sur la recherche d’ambiances. C’est un projet plus aride, forcément plus froid aussi, mais non moins fascinant.