Critiques

Oktoplut

RIONNOIR

  • Slam Disques
  • 2021
  • 70 minutes
8
Le meilleur de lca

Depuis 2012, le duo formé de Mathieu Forcier (guitare) et Laurence Fréchette (batterie et percussions) fait écarquiller les yeux et dégraisse les oreilles des mélomanes avides de densité sonore. Avec deux excellents albums dans leur besace — Le démon normal (2017) et Pansements (2014) —, Oktoplut est l’un des groupes rock parmi les plus pertinents de notre Belle Province. C’est avec une certaine fébrilité qu’on attendait la sortie officielle de RIONNOIR.

Élaboré autour du concept de l’effet miroir — ce comportement grégaire qui fait que nous imitons, sans le vouloir, les paroles, les gestes et les attitudes de nos proches — Oktoplut s’affaire, en deux sections distinctes, à nous faire prendre conscience de notre penchant moutonnier. La première partie de cette production ambitieuse met en relief le côté accessible du tandem. La deuxième partie nous propose de longues épopées sonores aux allures stoner, post-rock et prog.

En ces temps où l’Occidental verse de plus en plus dans le narcissisme technologique, quand ce n’est pas l’égocentrisme tout court, Oktoplut pose quelques questions essentielles et existentielles : est-il possible d’être 100% nous-mêmes plutôt que d’incarner de multiples versions fluctuantes et, en nous observant dans un miroir, est-il possible de prendre conscience concrètement de notre existence, et surtout, de notre complexité ?

Pourquoi mon destin

N’est pas le même que celui de mes semblables ?

Le dessein est bien le même

À quoi je sers si je m’épuise avant ?

– Le Delta de l’Okavango

Ces exigeantes réflexions auraient pu plomber la puissance et la lourdeur habituelles d’Oktoplut, mais au contraire, RIONNOIR « fesse dans l’dash », même si on décèle un effort mélodique plus accentué. Lors des premières écoutes, particulièrement dans le volet plus « punk » de l’album, cette accessibilité désarçonne. On y discerne même des liens mélodiques assez marqués avec ce que proposaient Les Vulgaires Machins, mais c’est loin de constituer une faiblesse. Ce nouveau long format est donc le plus équilibré et le mieux réalisé de la formation.

Dans la première partie, de nombreuses pièces se démarquent. Berceuse pour les ceuzes se distingue par ce riff-matraque qui remémore les meilleurs moments de la formation sludge / stoner métal Torche. Évidence impossible est dans la même famille que la chanson précédente. Qualia évoque le bon vieux Bob Mould. Les friands de pop-punk seront séduits par les refrains fédérateurs de Pris en hiver et Deux ailes pour tomber. Ce périple « heavy-pop-punk » se conclut avec l’aérienne Sous les imperméables.

La seconde portion est un bijou de lourde lenteur. Les dix minutes que durent Sommeil sont du pur bonheur pour celui ou celle qui affectionne le doom métal. L’ajout de percussions, le changement de rythme et la conclusion cathartique dans Ressasseressasser mettent en relief la dextérité des deux instrumentistes. Mais la pièce de résistance de ce RIONNOIR est sans contredit Le Delta de l’Okavango ; une oeuvre unique sur laquelle le duo est accompagné à l’octobasse — le plus grand et le plus grave des instruments à cordes au monde — par Eric Chappell, contrebassiste à l’Orchestre Symphonique de Montréal. Une totale réussite.

Même si l’auteur de ces lignes est un partisan assumé du penchant stoner-sludge de la formation, la clarté mélodique des onze premières chansons de l’album n’amenuise en rien la force de frappe d’Oktoplut. On assiste probablement à l’apogée créatif de la formation.