Vous connaissez ce dicton « moderne » qui, approximativement traduit en français, donne « aucune pensée, que des vibes »? Eh bien, cette observation se rapporte bien à l’album dont nous allons parler aujourd’hui. Oklou, alias Marylou Mayniel (tout droit venue de France, eh oui!), s’était taillé un succès modéré auprès des amateurs de pop avant-gardiste et niche, à l’image d’artistes comme Eartheater ou Caroline Polachek. En 2020, elle avait déjà obtenu un peu de notoriété avec God’s Chariot, titre magnifié par sa voix angélique et mystique. Ce morceau, d’ailleurs, était lié avec sa mixtape Galore, carte de visite pour connaître le son Oklou. Et maintenant, avec Choke Enough, son véritable premier album, elle a l’occasion de nous ravir avec une nouvelle vision de sa pop alternative, dans la continuité de son œuvre passée. Pari réussi?

En quelques mots concis, Choke Enough, c’est un album épuré, avec une sérénité. Les sonorités de la très douce Ict nous font même penser à Imogen Heap dans un bar jazz, le tout avant que nous soyons emportés dans une montée en pression électronique et éthérée, le tout magnifiquement orné par une trompette. L’album est truffé de ces détails et de cette délicatesse qui nous enveloppe d’une couverture chaude et douillette. Les notes de synthés sont particulièrement marquantes, sur des morceaux comme Thank You for Recording et Plague Dogs. Grâce à leurs mélodies transcendantes, ça marche à presque tous les coups.

En revanche, je vois dans cet album le même problème que j’avais quand j’avais fait la critique de Petrichor de 070 Shake sur ce blogue. Malgré des sonorités vraiment intrigantes, on reste dans une atmosphère en suspens, entre deux mondes, mais rarement dans des envolées grandiloquentes. Au casque, c’est comme si nous écoutions cette musique dans les toilettes d’une boîte de nuit, ou encore sous l’eau pendant que la musique jouait à la surface. Pourtant, malgré cette absence de catharsis, nous demeurons dans une sensation perpétuelle de flottement, une que je pouvais retrouver sur le volet 4 de la série des KICK d’Arca. À l’instar de la DJ vénézuélienne, Oklou préfère envelopper son album d’une homogénéité cohérente et réconfortante plutôt que de plusieurs pics en intensité avant de retomber dans les ambiances atmosphériques. Au lieu de la montagne russe, elle préfère le carrousel. En fait, un des morceaux qui nous livrent avec le meilleur crescendo musical est sans nul doute Harvest Sky, en collaboration avec underscores, à l’interstice entre le son club moderne et la nostalgie des années 2000, cette fameuse mode du Y2K qui renaît sur Internet depuis maintenant plusieurs années. Du même acabit, nous retrouvons également la superbe Take me by the hand (avec nul autre que Bladee, qu’on a d’ailleurs pu retrouver dernièrement sur l’album remix de BRAT), avec ses synthétiseurs étouffés et sa production 2-step particulièrement similaire à celle de PinkPantheress. De toute façon, je suis trop friande de ce type de musique, donc ÉVIDEMMENT que j’allais valider.

Choke Enough, quant à elle, mérite pleinement sa position de chanson-titre, avec son mystère et la tragédie de ses paroles. « My foot doesn’t know it’s on the pedal // I’ll crash this car to take a photo », dit-elle, sous fond d’Auto-Tune de très bon gout. Finalement, on retrouvera des drums plus assumées que jamais sur la dernière piste, Blade Bird. Vous vous souvenez de la métaphore de la salle de bains de boîte de nuit. Eh bien, cette chanson, pour moi, c’est le moment où tu décides d’en sortir, qu’il n’y a plus personne dans le club et que les premiers rayons d’un soleil éclatant percent à travers les fenêtres. Après l’écoute, on se sent léger comme une plume.

Avec Choke Enough, nous avons droit à la continuité de ce mouvement de pop indie distincte et épurée destinée à un public d’initiés. Car oui, cet album est plus dense qu’il n’en a l’air, et pourtant, c’est un album qui appelle à la liberté de l’esprit et la liberté de soi. Malgré notre désir de plus, peut-être qu’au final, Oklou est là pour nous apprendre comment profiter de la vie et de la musique avec un minimalisme maîtrisé. Parfois, moins, c’est peut-être plus.