Critiques

Nine Inch Nails

Ghosts V : Together

  • Null Corporation
  • 2020
  • 71 minutes
7

Je vous épargne les présentations, Trent Reznor et Atticus Ross étaient de retour il y a deux semaines avec les tomes cinq et six de la série Ghosts, sorte de version désincarnée de l’univers créatif de Nine Inch Nails. Pendant que la marque de commerce nous a habitués à une musique industrielle très concrète, Ghosts I-IV (2008) a servi d’échappatoire vers l’abstrait, vers des thèmes qui ne sont pas confinés dans le subjectif, et qui restent ouverts à l’interprétation. C’est dans cet ordre d’idée que le duo nous a partagé Together et Locusts, deux côtés de la médaille, ou du confinement, qui font en sorte que j’ai ressentie exactement le contraire de ce que mon collègue Charles a ressenti en écoutant Locusts. En effet, Together a comme thème principal un câlin, comme si Reznor et Ross te serraient forts dans leurs bras et te chuchotaient à l’oreille que ça va bien aller, et de prendre le temps de tout arrêter et d’écouter leur musique.

Letting Go While Holding On prend place au clavier oscillant, similaire à un Aum synthétique, suivi d’un motif à cinq notes à la sonorité dissonante. Ça prend quand même un moment avant qu’un autre élément intervienne sous forme de descente au xylophone. La masse mélodique est graduellement remplacée par une superposition d’échantillons de voix qui élève la pièce à un niveau méditatif. Together fait suite au piano de façon très délicate, renouvelant la boucle mélodique initiale en l’accompagnant d’une trame de fond vaporeuse. Le mouvement gagne en ampleur et en altitude, prenant une grande inspiration au-dessus des nuages avant de plonger dessous en deuxième moitié, durant laquelle l’atmosphère s’assombrit jusqu’à la distorsion. Out In The Open commence immédiatement aux claviers, dont la sonorité aérienne se situe entre des cordes frottées trop fortement et un vrombissement de bombardier. Le piano vient décorer tout ça à mi-chemin, devenant progressivement le centre de la pièce pendant que la toile de fond s’éloigne jusqu’au silence. With Faith s’éveille comme un gémissement dans le fond d’une grotte, contrasté joliment par le xylophone et une respiration lente qui mènent à un plateau bien plus éclairé. Le thème devient totalement illuminé à mi-chemin; un moment fort généré par une masse harmonique très riche qui s’estompe doucement en deuxième partie.

Apart perce l’air comme un filament de notes aux cordes qui dissonent et consonent comme dans une trame sonore de thriller. Heureusement, le reste de la section des cordes vient équilibrer et réconforter l’atmosphère de départ. Les notes de piano viennent guider le deuxième segment, comme des gouttes d’eau placées au centre de la tempête. Le dernier mouvement atteint momentanément un niveau épique avec la pulsation monophonique dans les basses, qui finit par s’enfuir comme un rongeur dans la terre. Your Touch reprend la sonorité des cordes frottées mélangée cette fois-ci avec une matière plus claire, comme une résonance métallique de conduit d’aération. La froideur de la mise en place est contrebalancée par un clavier bien rond dans les basses et des arpèges aléatoires au synthétiseur analogique. Hope We Can Again conserve sensiblement la palette sonore de la pièce précédente, remplaçant le synthétiseur par une boîte à musique. Ça devient étonnement strident à mi-chemin, et après avoir rendu l’auditeur momentanément sourd, le motif mélodique revient tout doucement accompagné par l’acouphène dans les oreilles. Still Right Here ouvre au piano réverbéré au point de brouiller légèrement la mélodie, accompagné par des bruits élastiques de guitare abrasive. Celle-ci finit par jouer une montée triomphale qui mène à un segment électro dense et rythmé, concluant l’album de façon bien plus dynamique.

Hors contexte, Ghosts V: Together tomberait probablement dans la liste d’écoute à faire jouer pendant qu’on se fait à souper, mais en ce moment ça se peut que ça puisse toucher à quelques cordes sensibles. L’album fait effectivement l’effet d’un câlin, surtout si on lâche prise et qu’on ne s’y attarde pas trop intellectuellement. C’est que la forme est amincie et élancée, et peut sembler très linéaire pour celles et ceux habitués au contraste agressif/contemplatif du projet. En ce sens, Reznor devrait peut-être penser à utiliser un nom plus approprié pour les prochains tomes, genre… Nine Inch Snails!