Critiques

Nils Frahm

Empty

  • Erased Tapes
  • 2020
  • 36 minutes
7,5

L’œuvre de Nils Frahm ne se déploie pas de façon linéaire. Elle est constituée de grande avancée, suivie chaque fois de multiples bonds en arrière. Ainsi, les trois dernières parutions du musicien allemand, Encore 1, 2 et 3, rassemblaient du matériel accumulé au cours de la production de All Melody, album monumental qui a mené Nils Frahm à délaisser un peu son piano pour se concentrer sur les synthétiseurs, les boîtes à rythmes et autres joujoux analogiques. Le voilà qu’il retourne encore plus loin dans le passé et qu’il choisit de faire paraître huit morceaux enregistrés en deux nuits à l’été 2012. Intitulé Empty, l’album vient souligner le Jour du piano, événement décrété par Nils Frahm lui-même, qui se tient le 28 mars chaque année, soit le 88e jour de l’année, suivant le décompte des touches du piano.

Au départ, ces enregistrements devaient constituer la trame sonore d’un court métrage. Puis, Nils Frahm est tombé de son lit à deux étages et s’est fracturé le pouce. À son retour de l’hôpital, il a eu le sentiment, en réécoutant le tout, que les pièces étaient incomplètes. Le projet en est par conséquent resté là, le pianiste se consacrant par la suite à la création de Screws

Il y a ainsi de grands parallèles à tracer entre ces deux albums enregistrés à quelques mois d’intervalles. D’abord, il s’agit dans les deux cas de solos pianos minimalistes, construits autour de mélodies et d’accompagnement d’une grande simplicité. La production possède également certaines similarités, les deux albums laissant entendre les bruits de la mécanique du piano, les mouvements de l’interprète, les craquements du banc de piano. Ce sentiment est accentué par la grande douceur et la sensibilité extrême des interprétations de Nils Frahm.

Mais ici s’arrêtent les comparaisons. Bien que des liens soient évidents entre Screws et Empty, ce dernier est une contribution à part entière à la discographie de Nils Frahm dû, justement, à son incomplétude. En effet, Nils Frahm atteint sur Empty un niveau de dépouillement qu’on ne retrouve nulle part ailleurs dans son œuvre.

Les mélodies sont généralement plus courtes, plus répétitives et plus aérées qu’à l’habitude, leur accompagnement se réduit souvent à des accords plaqués ou arpégés avec une telle douceur, qu’il s’efface presque derrière le thème. Seule No Step on Wing et Sonar s’éloignent de ce procédé. Les deux morceaux sont construits à partir d’arpèges rapides, autour desquels s’égrènent, dans le premier cas, quelques notes mélodiques. Dans le second, le piano est noyé dans l’écho au point de créer une masse sonore qui ressemble à des synthétiseurs.

Si Nils Frahm a toujours accordé une immense importance à l’espace dans ses compositions, Empty s’avère sa proposition la plus radicale en la matière jusqu’ici. Le pianiste y réduit son jeu à sa plus simple expression dans ce qui ressemble à une quête de vide intérieur. L’album est ainsi porté à bout de doigts par l’intensité particulière que le musicien confère à chaque note, la profondeur des interprétations venant remplir l’espace laissé vacant par le minimalisme de ses compositions.

Cette quête de sensibilité est appuyée par un mix peu compressé, qui laisse se déployer toute la subtilité du jeu du pianiste, mais qui fait en même temps ressortir toutes sortes de bruits parasites, tel que mentionné précédemment. Tellement que l’auditeur est forcé de grimper le volume plus qu’à l’habitude afin d’accéder à Empty. Mais grimper le volume, dans le cas présent, donne en quelque sorte un accès direct au musicien. Avec un bon casque d’écoute, on pourrait croire qu’on regarde par-dessus l’épaule du pianiste pendant qu’il joue tellement l’atmosphère est intime.

De par son dépouillement, on serait tenté de rapprocher Empty de certaines compositions pour piano de Ólafur Ólafsson. Mais le style de composition plus abstrait assumé par Nils Frahm est sans doute davantage inspiré par John Cage, comme en témoigne la minute de silence qui conclue Black Notes, la pièce qui conclut l’album.

Empty s’avère ainsi un magnifique album, un apport important à l’œuvre de Nils Frahm puisque cette création est plus abstraite, plus dépouillée, avec comme conséquence qu’il s’agit peut-être d’un de ses disques les plus exigeants jusqu’ici. Reste que le pianiste démontre une fois de plus l’immense étendue de son talent, justifiant par le fait même son statut de figure de proue du néoclassique.

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