Nick Cave & the Bad Seeds
Skeleton Tree
- Bad Seed Ltd
- 2016
- 40 minutes
Allons-y tout de go, sans aucune fioriture. Nick Cave & The Bad Seeds faisaient paraître vendredi dernier Skeleton Tree; un disque qui porte la marque du deuil, celui du fils de Nick Cave décédé des suites d’une chute fatale d’une falaise anglaise. L’événement tragique qui a affligé Cave et sa famille a transformé de but en blanc la direction artistique de l’album. L’artiste et ses acolytes se sont donc retrouvés à l’automne 2015 avec l’ami Nick Launay derrière la console, celui-là même qui avait travaillé sur Push The Sky Away et sur plusieurs autres albums de la formation.
Que dire qui ne serait pas surfait ou superflu sur ce Skeleton Tree? Il y a de ces disques qui vous remuent jusqu’à la moelle au point où l’on perd toute espèce d’objectivité. Et c’est bel et bien le cas avec cette œuvre.
Musicalement, Cave et son fidèle comparse, Warren Ellis, ont misé sur un certain dépouillement même si des salves de cordes et de nombreuses ambiances synthétiques font irruption tout au long du disque. Tout est mis en place pour que les textes (aussi francs qu’oniriques) ainsi que l’interprétation de génie de Cave soient percutants. Des harmonies vocales célestes viennent aussi bonifier ce grand disque, car on a bel et bien affaire une création d’exception.
Pourquoi? Parce que Cave exprime sa douleur avec une lucidité exemplaire qui l’honore complètement. Ce qui aurait pu sombrer dans un pathos indigeste se transforme, dans les mains de Cave, en un chef-d’œuvre d’une beauté élégiaque absolue. Impossible de demeurer de marbre à l’écoute de cette imploration mélancolique et émouvante que représente I Need You. Une grande chanson où le père pleure la mort de son fils sans fard et sans retenue.
Tout ce que peut faire un artiste dans ces circonstances tragiques, c’est de sublimer sa souffrance en œuvre d’art… et Cave réussit à nous fendre le cœur comme pas un. Évidemment, ce Skeleton Tree fera fuir à toute jambe les hyperactifs consuméristes qui préfèrent se réfugier dans l’esbroufe et le superficiel. Oui, chers lecteurs, que vous le vouliez ou non, le monde dans lequel on vit offre un ratio de souffrance nettement plus élevé qu’on veut bien le croire. Ne pas accepter ce fait relève de l’aveuglement le plus complet.
Fidèle à son habitude, Cave y va de perles littéraires qui pulvérisent le cœur. Sur la prophétique Jesus Alone, écrite avant la tragédie, l’homme y va de cette tirade: «You fell from the sky, crashed landed in a field near the River Adur». Rings Of Saturn est sans contredit la pièce la plus lumineuse de ce Skeleton Tree même si on ressent quand même le poids de la lourde perte vécue par Cave: «I knew the world would stop spinning now since you’ve been gone/I used to think that when you died you kind of wandered the world/I don’t think that anymore».
Ceux qui sont fanatiques de Cave en format plus grinçant seront quelque peu déstabilisés à la première écoute, mais ça se replace rapidement dès les auditions subséquentes. Et c’est grâce à cette fusion quasi parfaite entre les atmosphères sonores, aussi glauques que rayonnantes, et l’interprétation magistrale de Cave. Oui, c’est un immense disque qui me hantera pendant encore longtemps. Essentiel.
Ma note: 8,5/10
Nick Cave & The Bad Seeds
Skeleton Tree
Bad Seed Ltd
40 minutes