Critiques

Mille Milles

Mille Milles

  • Simone Records
  • 2020
  • 43 minutes
7,5

Mille Milles est le projet solo du compositeur montréalais Vincent Legault, qui a entre autres fait partie des Random Recipe et joue maintenant avec les Dear Criminals. Actif sur la scène musicale locale depuis plus de dix ans, Legault a multiplié les collaborations artistiques et composé pour les arts de la scène, tout en préparant secrètement son projet solo entre deux spectacles ou deux contrats. C’est dans cet ordre d’idée que Mille Milles est arrivé en mars avec son premier album éponyme, composé comme la bande sonore originale d’un film abstrait dans lequel la comédienne et dramaturge Évelyne de la Chenelière interprète ses propres textes sur certaines pièces. À ce duo, s’ajoute un quatuor à cordes, un hautbois, une basse, une batterie et un santour à différents moments de l’album, créant un univers musical qui incorpore aussi bien les éléments synthétiques qu’acoustiques.

Un seul ouvre sur la voix d’Évelyne accompagnée par un piano mélancolique légèrement étouffé. Le rythme électronique vient apporter un petit côté percussif entraînant qui supporte le texte parlé, chuchoté, superposé et monté en boucle comme une pensée répétitive. Mur fait suite avec le quatuor à cordes et le hautbois, passant d’une atmosphère de théâtre expérimental à une scène romantique qui se déroule gracieusement. Chute allège l’atmosphère davantage avec sa boîte à musique, enrichie par les cordes durant certains segments, ceux-ci glissants vraiment doucement comme sur un fil. Ça se déploie progressivement en une masse harmonieuse décorée par des percussions synthétiques et un battement dans les basses qui lui donne un air de musique électronique de chambre.

Le quatuor à cordes reprend sur À tes pieds, accompagné par la basse électrique et le vibraphone dans un bref élan romantique. Et tu vois prend place de façon percussive, créant une respiration trip hop qui s’intensifie jusqu’à ce que le mouvement s’arrête le temps d’un plateau, et reparte en vol plané tout juste au-dessus d’un courant mélodique synthétique. De la Chenelière revient à mi-chemin à la voix, créant un moment de proximité livré comme un extrait de journal, et laissant le dernier mouvement passer à une sonorité plus près du ronronnement et du scintillement. Le bleu conserve le souffle de la pièce précédente en passant à un thème folk rétro, avec guitare acoustique, basse électrique, trame de fond sorti d’un mellotron et piano électrique bien coussiné.

Des nouvelles vagues reprend le piano électrique tout doux dans une atmosphère de rêve sous une nuit étoilée, de la Chenelière racontant une histoire bien installée près des oreilles. La trame se densifie en accords et en strates, suggérant une montée techno qui mène finalement au silence. Suspendu part sur un échantillon vocal trafiqué, monté en boucle, et flottant autour d’une guitare électrique jouée en arpège. L’orgue oscillant, le quatuor à cordes et la basse électrique font suite dans un esprit dramatique, comme le thème d’une émission télévisée en noir et blanc. À tes lèvres enchaîne sur l’accord laissé par la pièce précédente, faisant vibrer les cordes acoustiques et électriques comme un numéro folk rock. Le dénouement mélodique semble faire un bref clin d’œil à Morricone, et repart sans glissandos pour laisser les notes s’appaiser délicatement.

Par hasard débute sur un rythme trip hop, colorant le thème de départ avec un piano centenaire désaccordé qui évolue en parallèle au quatuor à cordes et à un santour. La coupure à mi-chemin renouvelle le mouvement en solo électronique (particulièrement bien réussi) et ça revient ensuite à l’intention initiale de façon tout aussi harmonieuse. Et je te dis reprend le piano centenaire réverbéré en duo avec de la Chenelière à la voix et les cordes jouées de façon pincée. Le thème musical s’éloigne pour ne laisser que la parole en conclusion. Vois mes yeux ouvre sur une trame synthétique un peu molle, du moins dans sa manière de dissoner. Les cordes apparaissent à travers la séquence et font passer le mouvement à un segment plus rock, en compagnie de la basse électrique et la batterie. 

Il y a une sonorité définitivement rétro au premier album de Mille Milles, qui semble inspirée du rock progressif (quelque part entre Harmonium et Pink Floyd) et des trames sonores de films français et de westerns. La performance d’Évelyne de la Chenelière vient ajouter une teinte théâtrale avec ses textes, passant à une autre teinte plus expérimentale lorsque les traitements numériques dénaturent sa voix. Le contraste entre les deux fait en sorte qu’on ne s’attarde pas tout le temps à ce qui est dit, mais plutôt à la façon dont les échantillons de voix sont intégrés dans le montage. Ça crée par moment un niveau d’obsession, une tension qui s’équilibre super bien avec les thèmes mélodiques et les séquences percussives.

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