Milanku
De Fragments
- L’œil du tigre
- 2015
«Lorsqu’on échange des sourires pour des instants/Comment retrouver entre les distances du temps/L’éternité d’un plaisir entre souvenir et ressentiment» entonne Guillaume Chamberland dans La dernière porte. Cette strophe résume assez bien l’ambiance sonore et la charge émotive des morceaux du joliment titré De Fragments: le nouveau disque du quatuor post-hardcore montréalais Milanku.
Trois ans après Pris à la gorge, le groupe poursuit son exploration musicale et narrative avec une descente au pays du rêve brisé, de la cruelle déception de soi et de l’éphémère réconfort du souvenir: «je me rappelle de tout, je suis comme un enfant».
Il n’y a que très peu de paroles sur De Fragments (elle tiennent en vingt-un vers), mais celles-ci ont une importance de premier plan dans la proposition du groupe: elles appuient avec force l’édifice créé par les guitares – jamais calmes, tantôt mordantes, tantôt inquiétantes – et font culminer leur ultime montée de pure intensité.
Car l’association de Milanku aux courants post (il y a assurément du post-rock là dedans aussi) tient en partie aux structures en crescendo et à ce sens aiguisé de la construction de l’intensité.
Milanku rugit sur De Fragments. Rugit puis pleure, pleure puis se calme. Les énormes riffs sont ponctués de nappes d’ambiances, de noise hurlant et de tranchantes progressions d’accords. Mais le tout demeure très serré, cohérent, comme si tous ces éléments allaient jusqu’à se fondre l’un dans l’autre. Comme si les éléments se déchaînaient au-dessus de notre tête, dans un épais brouillard.
Et est-ce que c’est bon? La réponse du chroniqueur? C’est un bon album issu d’un travail de composition louable, réfléchi et maîtrisé. Le sitedemo.cauit finit manque de définition, le son étant par moment à la limite du saturé. Mais sans aucun doute, un album qui devrait faire connaître le groupe ici, lui qui jouit d’une réputation enviable sur la scène hardcore mondiale, mais qui est malheureusement peu connu du public montréalais (qui est en général peu friand – voir snob – de musique lourde et émotive).
La réponse du mélomane? C’est sublime. Un album de post-hardcore à fleur de peau autant qu’un mantra post-rock très personnel. Les trente-neuf minutes de lecture s’enchaînent à merveille tout comme les puissantes montées et les accalmies. Et la répétition des riffs, limitant les variantes, accentue la prédisposition de l’auditeur à l’introspection tout comme elle rend diffuse la notion du temps qui passe.
J’aime beaucoup Le Kraken, projet auquel appartient également Chamberland, mais je préfère de loin l’approche de Milanku, plus diffuse justement, moins autoritaire. Plus suggestive. J’en veux pour preuve l’excellente Dans nos absences: «On a égaré des pièces en chemin […] et dans nos absences, on aperçoit les morceaux manquants.»
De quelle nature sont ces morceaux? Les fragments manquants pour un présent cohérent sans doute.
Ma note: 8/10
Milanku
De Fragments
L’Oeil du tigre
39 minutes
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