Critiques

Matiu

Tipatshimushtunan

  • 33 minutes
7

Dans le passé, on m’a souvent parlé du fameux son du Lac-Saint-Jean (avec ferveur, s’il vous plaît). Mais le son de la Côte-Nord lui? Parce que si l’authenticité des artistes régionaux a maintes fois fait ses preuves auprès du public québécois, les gardiens de la route 138 n’y font certainement pas exception. Loin de là.

Après une première sortie bien réussie, en 2018, avec Petikaqui lui a valu plusieurs nominations (ADISQ, Gala de musique autochtone Teweikan, Prix Eval-Manigat, SPACQ, Culture Côte-Nord), l’artiste de Uashat mak Mani-Utenam nous lance un nouvel opus qui ne passera également pas inaperçu. C’est cette fois aux côtés d’un autre artiste de la relève de Sept-Îles, Louis-Jean Cormier, que Matiu revient en force avec 9 excellents morceaux de son « rock bipolaire » bien à lui.

Fidèle à son style, Matiu nous offre une fois de plus des textes très personnels, sensibles et parfois plutôt durs. Observateur et très fier de son identité, il partage sans détours son vécu avec honnêteté, et nous donne une vision de son monde sans filtres et sans paillettes.  Même si les textes sont ancrés dans une réalité propre à lui, comme la vie dans les communautés autochtones et les relations familiales, on réalise rapidement que les sujets abordés nous présentent une réalité tout simplement humaine et universelle. Des paroles simples, lourdes de sens et d’une efficacité poignante qui pourraient rappeler les textes de Fortin, Brach ou Desjardins.

Musicalement, Matiu offre un folk rock très efficace aux accents parfois blues, country et même reggae (Maliotenam). Un rock bien senti (et parfois bien lourd) qui appuie une voix rocailleuse pouvant se rapprocher de celle d’un jeune Tom Waits. Cette voix sincère et authentique qui représente bien une vie qu’il qualifie lui-même de « toute croche calculée ». Cette voix unique est encore plus frappante lors des passages chantés en innu (Tipatshimushtunan, Aishinetau, 4 Flasheurs, Maliotenam), alors qu’elle vient appuyer avec émotion la douceur et le rythme uniques de cette langue. Les collaborations avec Allan Nabinacaboo (Tipatshimushtuan) et Shauit (Maliotenam) viennent également confirmer que la langue innue est définitivement une vague de fraîcheur dans le paysage musical québécois.

Comme aguiche à l’album Tipatshimushtunan, Matiu a mis la table (et la barre très haute) avec le lancement d’un vidéo de la chanson du même nom. Tipatshimushtunan, qui se traduit par « Racontez-nous », commence avec le témoignage vibrant d’une dame victime du pensionnat de Maliotenam. Le témoignage émotif et le texte sans filtres de la chanson sont alors présentés avec des images touchantes de la communauté de Mani-Utenam. Malgré le témoignage tragique et l’intensité des paroles, le vidéo est déconcertant par ses propos et son message empreint de courage et d’espoir : « Tout le monde ensemble ».

Si les communautés autochtones n’ont pas été beaucoup représentées en culture dans le passé, Matiu est une preuve de plus que le Québec a tout à gagner en mettant ces artistes de l’avant, et que nous sommes loin d’être en pénurie de talents. S’il est clair que Matiu permettra d’ouvrir des portes, souhaitons que le sentier qu’il aide à défricher soit emprunté par plusieurs autres dans le futur.