Critiques

Marie Davidson

Working Class Woman

  • Ninja Tunes Records
  • 2018
  • 43 minutes
8
Le meilleur de lca

Marie Davidson semble être partout depuis la sortie d’Adieux au dancefloor (2016). Non pas parce qu’elle était moins active sur la scène électro avant ça, bien au contraire, mais plus parce que sa carrière a acquis un certain oomph à partir de là, combinée à l’effet d’entraînement de Demain est une autre nuit (Essaie Pas, 2016), disque sorti neuf mois plus tôt sur DFA Records. Sa prestation à Mutek 2017 avait comblé tous les fans de techno et de synthwave sur place, tandis que sa performance multidisciplinaire dans le cadre de Bullshit Treshold (présenté à La Chapelle en février dernier) avait attiré de fins connaisseurs de théâtre contemporain. Vous dire à quel point les deux publics sont différents démontre l’éventail créatif de Marie Davidson, et sa capacité à rafraîchir la scène artistique underground.

Après le lancement lynchien de New Path (Essaie Pas, 2018) en mars dernier, et la sortie de Working Class Women en octobre, on constate que le son de Davidson est devenu plus cru, voire machinal, et s’inspire davantage des courants électroniques issus de la première vague de musique industrielle (1975-81). On y retrouve donc du spoken word rendu parfois de manière psychotique, des rythmes technos répétitifs, des contretemps typiquement EBM et de la ballade synthwave empreinte de féminité.

L’album ouvre de façon théâtrale avec Your Biggest Fan (qui ouvrait également Bullshit Treshold), avec extraits de ce que les fans de Davidson ont à potiner sur elle. Le spoken word est livré comme une succession de commentaires désobligeants sur fond de trame électro industrielle 80s. Le kick sec de Work It fait immédiatement vibrer le plancher de danse, je souris au roulement de toms inspiré de Blue Monday, lorsque le rythme devient obligatoirement irrésistible. Davidson chante sur un ton qui rappelle Robyn, mais avec un charmant petit accent québécois, sans parler des voix masculines qui doublent efficacement les « work! » à la new jack swing, juste wow. The Psychologist est monté comme une scène de film (psychologique) dans lequel la patiente est envahit par une voix qui la traite de folle. La trame musicale fait penser à du dark ambiant, genre The Initial Command (1987), avec sa boucle mélodique qui varie en densité et en effet de délai.

Lara nous fait revenir à la piste de danse avec sa structure techno acid ultra physique, ça rentre au poste. La balade Day Dreaming avance sur une boucle mélodique au son synthétique scintillant, Davidson continue sa prestation en spoken word, concluant ensuite sur une nouvelle boucle à la sonorité plus vaporeuse. The Tunnel nous enferme dans une scène cauchemardesque durant laquelle Davidson doit passer dans un tunnel de verre brisé; la trame sonore est lourde et étouffante, et le thème est livré de façon très sarcastique.

Workaholic Paranoid Bitch débute de façon expérimentale avec sa palette de sons saturés, et se densifie progressivement en rythme EBM hypnotisant, très dynamique et très physique. Le pont donne le temps de reprendre son souffle jusqu’au deuxième segment encore plus dense.  La ballade dance titrée So Right allège énormément l’atmosphère, passant de la tension musculaire complète à la délicatesse romantique. Le contraste est parfaitement réussi et sert en quelque sorte de résolution à la tension créée par l’album. Burn Me nous ramène une dernière fois sur la piste de danse avec son rythme électro industriel. La ligne de basse vient compléter merveilleusement bien les contretemps, la transe peut maintenant commencer. La chambre intérieure conclut l’album à mi-chemin entre la comptine mélancolique et la trame ambiante italo-disco, mélange improbable parfaitement réussi.

Avec Working Class Woman, Davidson a atteint un équilibre entre ses différentes sources d’inspiration qui fait en sorte que l’album est assez étrange pour être réécouté régulièrement (j’en abuse moi-même depuis deux mois) et juste assez conventionnel pour piquer la curiosité des oreilles moins habituées à l’approche multidisciplinaire. Les amateurs d’industriel devraient sourire de contentement, tandis que les plus jeunes ont dorénavant une artiste à suivre à travers les régions plus sombres de la musique électronique. Bref, ajoute ça sur ta liste d’écoute right f*cking now.

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