Critiques

Lydia Képinski

Depuis

  • Chivi Chivi
  • 2022
  • 50 minutes
8
Le meilleur de lca

Quatre ans ont passé depuis que Lydia Képinski s’est imposée sur la scène musicale québécoise avec un premier album qui avait confirmé le buzz l’entourant depuis son triomphe aux Francouvertes en 2017. Plutôt que de répéter la même recette, l’autrice-compositrice-interprète plonge dans la pop dansante et synthétique sur son deuxième album Depuis, sans sacrifier sa théâtralité et son sens du drame.

En matière de « chanson » au Québec, peu d’artistes peuvent se targuer de posséder cette grandeur et ce souffle épique qui donnent à la musique de Lydia Képinski une noirceur presque romantique dans son esprit. Ça tient bien sûr à ses textes, de facture très littéraire et qui empruntent souvent à la mythologie, mais aussi à son approche de la composition centrée sur les crescendos et les moments de grande intensité, comme l’exprimaient des titres comme Les routes indolores ou Pie-IX.

Pour quiconque a déjà vu Képinski en concert, ce côté théâtral et dramatique pouvait apparaître un peu déphasé par rapport à son attitude sur scène, qu’on pourrait qualifier de désinvolte et même d’un peu baveuse. On tolère généralement assez bien ce genre de paradoxe chez un artiste masculin, dont on salue l’impétuosité et l’insolence, mais on reste encore frileux devant une femme affichant la même confiance, qu’on associe à une forme d’arrogance, de prétention ou même de suffisance.

Pourtant, la grande qualité de Lydia Képinski est justement sa capacité d’entretenir le flou par rapport à son personnage. De son propre aveu, la plupart des chansons de Premier juin (sa propre date de fête) étaient autobiographiques, le récit de ses années difficiles. Mais parce qu’elles étaient enrobées d’orchestrations opulentes, on avait le sentiment qu’elle jouait un rôle, que tout ça n’était que façade.

Depuis s’inscrit à la fois dans la continuité de Premier juin dans sa recherche d’effets dramatiques tout en jetant un regard lucide sur le passé pour mieux voir la route qui s’en vient. En troquant les guitares pour les synthétiseurs, Képinski s’assure de créer un nouvel univers, un peu plus froid, mais tout aussi intense, et ce, qu’elle emprunte à la musique EDM ou encore à la synth-pop façon CHVRCHES.

L’album démarre de manière explosive avec la chanson-titre, tout en puissance et en intensité, et magnifiée par les arrangements de son complice Blaise Borboën-Léonard. C’est un des rares titres qui évoquent plus directement l’univers de Premier juin, non seulement parce qu’il est plus rock, mais aussi par son texte énigmatique qui mélange légende et autofiction jusqu’à la finale où Képinski crie son invincibilité :

« Depuis que je sais

Je suis

Depuis

Que je sais

Je suis

Invincible ».

– Depuis

Cette image de figure surhumaine s’étiole dès la deuxième chanson, L’imposture, sur laquelle la musicienne se questionne sur cette image qu’on a créée d’elle, tandis qu’elle prend conscience du regard des autres, sur fond de pop clinquante qui révèle une belle maîtrise des codes de la dance music :

« Me voici

Me voilà

Comme vous

Je me vois

Dans la désinvolture

Le poids de l’imposture ».

– L’imposture

On dira de ce nouveau disque de Lydia Képinski qu’il est bien sûr plus pop et qu’il néglige le côté davantage art-rock de son prédécesseur au profit d’une approche plus consensuelle. Mais l’instrumentation ne fait pas foi de tout. Sur le fond, ces nouvelles chansons égratignent tout autant que celles de Premier juin. Elles sont presque aussi sombres, même si elles sont davantage destinées aux planchers de danse. À cet égard, un titre comme Vaslaw (en référence aux origines polonaises de son père) est une véritable bombe dans l’esprit de Désenchantée de Mylène Farmer. On ne peut nier également l’influence d’Ariane Moffatt, qui a contribué à tracer le chemin au Québec en matière de pop électronique aux arrangements sophistiqués.

Même s’il est de facture plus lisse, Depuis est un objet un peu difficile à saisir parce qu’il joue sur plusieurs tableaux. Au fil des onze chansons, on passe de l’ironie (MTL me déteste) à l’exaltation (Deux jours) à la solitude (puissante Arbol) à l’ivresse de la tournée (Vacances-travail). Oui, ça donne parfois des excès, mais au final, c’est cette multitude qui fait l’unicité de Lydia Képinski. Qu’elle arrive à créer un univers aussi poétique et dramatique dans un contexte pop relève de l’exploit.

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