Critiques

Lorde

Virgin

  • Universal Music Group
  • 2025
  • 35 minutes
7,5

Quand un artiste nous habitue constamment à un ou des albums remarquables, les attentes pour la suite sont hautes. Et plus grande est l’attente, plus forte est la déception. Ça, Lorde l’a appris à ses dépens. Après l’enchaînement générationnel qu’était Pure Heroine en 2013 et Melodrama en 2017 (qui est, à mon avis, un des meilleurs albums pop du 21e siècle, oui, je le dis.), elle nous avait livré Solar Power en 2021, album diamétralement opposé à son œuvre précédente et, malheureusement, l’étincelle n’était pas au rendez-vous. Les mélodies manquaient de tact, les productions de Jack Antonoff étaient insipides, et l’ambiance qui se dégageait du disque manquait d’authenticité pour plusieurs auditeurs. Malgré des rétrospectives plus positives, Solar Power demeure à ce jour, pour plusieurs, le mouton noir de la discographie d’Ella Yelich-O’Connor.

Alors, quand on a assisté à la promotion de Virgin, quatrième album de l’artiste néo-zélandaise, la fébrilité était au rendez-vous. Car oui, après une pause de près de quatre ans, cet album se voulait très affirmatif, assumant une féminité mature et émancipée. Et cette volonté de penser au-delà des conventions se voyait déjà sur la pochette. Froide et bleue, elle représentait une photo en rayons X de son bassin, avec sa ceinture, ses os et, en prime, un petit stérilet. Plastiquement et thématiquement, c’était très fort.

On a beaucoup reproché au premier simple de l’album, What Was That, d’être une pâle copie de ce que l’artiste avait pu accomplir sur Melodrama, mais, pour ma part, si ce morceau se veut être du fan service, il y arrive à la perfection. C’est une vraie rétrospective de l’œuvre de Lorde tout en étant le début d’une nouvelle perspective sur sa vie et sa condition en tant que femme parfois en amour avec la vie et parfois désemparé par celle-ci. Bref, ce sentiment doux-amer a marché parfaitement pour moi. Et par rapport aux redites musicales du morceau, Man Of The Year et Hammer ont su prouver que cette nouvelle ère allait être bien à elle, sans être une recopie de quoi que ce soit d’autre. Et effectivement, avec Virgin, la Néo-Zélandaise se met à nu et se livre de manière crue et douloureusement honnête.

Et ça commence direct au premier morceau inédit, Shapeshifter, qui fait vibrer le cœur avec des violoncelles solennels et une production drum & bass éthérée. Il est d’ailleurs intéressant que Yelich-O’Connor s’exprime par la parole plutôt que par le chant sur une bonne partie de ce morceau. En fait, sur l’entièreté de Virgin, à part pour quelques exceptions, les mélodies vocales ne sont pas toujours le point d’accroche. Cela dit, les paroles sont récitées doucement, délicatement, comme si Lorde nous racontait une histoire intime, un secret qu’il faut garder sous couvert. On retrouve cette fragilité désarmante avec un peu plus de puissance sur Favorite Daughter, qui, elle, représente ce que j’aime plus dans la pop : des paroles dévastatrices sur de la musique dansante. De plus, sa performance est tellement honnête et à fleur de peau qu’elle fait l’effet d’une flèche droit au cœur.

Le thème de la sexualité est également abordé de manière beaucoup plus frontale et brutale,

Current Affairs étant probablement la chanson la plus sexuelle que Lorde ait enregistrée jusque-là. En plus de peindre une imagerie très explicite, une grande vulnérabilité s’en dégage, au point d’en serrer le cœur : « My bed is on fire, Mama I’m so scared. » Sur GRWM, elle aborde les contradictions de l’âge adulte en affirmant une nouvelle indépendance de soi. « Since ’96, been looking for a grown woman, » 1996 étant l’année de naissance de Lorde. Le titre Clearblue, quant à lui, fait référence au test de grossesse portant le même nom et représente également une personnification de son désir de liberté dans sa vie intime. Elle se promène entre les archétypes dominants de nos vies, que ce soit la figure maternelle ou les attentes du public (dans le cas de l’artiste), la peur des premières fois, les expériences qui changent des existences en une fraction de seconde. Bref, on y retrouve tant de déclinaisons et d’interprétations possibles en si peu de temps, et ça, c’est la science infuse de la musique de Lorde. Cette richesse est amplifiée par 10 sur la chanson finale, David, piste inspirée d’une ancienne relation toxique et qui culmine en un climax chargé en émotion : « And once I could sing again, I swore I’d never let myself sing again for you. » La liberté n’a jamais eu un goût aussi doux.

Au bout de quatre albums, on pourrait penser que Lorde a dit la majorité des choses qu’elle voulait révéler à son audience, mais, sur Virgin, ses limites sont surpassées, et ce, de manière osée. On n’écoute pas simplement sa musique, on grandit avec elle, et je suis persuadée que Virgin accompagnera les fans de Lorde (et donc, par le fait même, moi-même) dans leurs vies d’adulte, comme Pure Heroine et Melodrama ont accompagné leurs adolescences.

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