Liz Phair
Soberish
- BMG / Chrysalis
- 2021
- 44 minutes
On pourrait y voir une tentative de retrouver la magie du passé. Trois ans après avoir fait paraître une version augmentée de son classique Exile In Guyville, la grande dame du rock alternatif Liz Phair renoue avec le réalisateur Brad Wood sur Soberish, son septième album en carrière, mais son premier depuis 2010. Le résultat s’avère confus, évitant le piège de la nostalgie, oui, mais manquant de direction précise.
Le parcours atypique de Liz Phair mérite qu’on s’y attarde afin de bien comprendre dans quel contexte s’inscrit ce nouvel album. Originaire de la scène de Chicago, elle a lancé en 1993 ce qui est largement considéré comme un des classiques de la décennie. À l’époque, le rock alternatif était un genre dominé par les hommes (avec quelques exceptions notables comme P.J. Harvey), mais Phair a su briser les barrières avec son approche authentique et ses textes frondeurs dans lesquels elle se réclamait d’un féminisme sans compromis, tout en exprimant les craintes et les espoirs de la jeune génération. Près de 30 ans plus tard, l’impact de cet album continue d’ailleurs de se faire sentir, que ce soit chez Best Coast, Soccer Mommy ou Snail Mail.
Après deux autres albums parus sur le label Matador, Phair est passée du côté obscur en signant un contrat avec Capitol. En 2003, elle lançait l’album éponyme Liz Phair, de facture beaucoup plus commerciale et avec quelques morceaux produits par The Matrix connus entre autres pour leur travail avec Britney Spears et Avril Lavigne. Dans une critique assassine et sans nuance, Pitchfork avait carrément donné un « 0 » à l’album, déplorant qu’une artiste aussi révolutionnaire en soit « réduite à des trucs publicitaires bon marché et à de la pop adolescente hyper-commerciale ».
Les disques suivants Somebody’s Miracle (2005) et surtout Funstyle (2010) n’ont rien fait pour rétablir sa crédibilité dans les cercles indie, ce qui explique peut-être qu’elle se soit faite plus discrète depuis. Cela dit, pareille absence n’était pas nécessairement prévue. En 2019, elle travaillait sur de nouvelles chansons avec Ryan Adams, mais elle a mis fin à leur collaboration quand celui-ci a été accusé d’abus émotionnel et de harcèlement par des artistes comme Phoebe Bridgers et Mandy Moore.
Ce qui nous amène donc à Soberish, dont le titre peut être lu comme une référence assez directe au fait que Phair a longtemps elle-même combattu une dépendance à l’alcool. Plusieurs titres abordent d’ailleurs l’enjeu de l’alcoolisme, mais pas toujours de façon subtile, dont Hey Lou, Dosage et bien sûr, la pièce-titre, avec son refrain un peu trop dans-ta-face : « I meant to be sober, but the bar’s so inviting ».
Musicalement, Phair donne l’impression d’avoir eu du mal à établir une direction précise sur ce nouvel album. D’abord, même s’il est assez clair qu’elle n’avait aucune intention de jouer la carte de la nostalgie en tentant de recréer l’esthétique d’Exile In Guyville, certaines chansons s’en rapprochent quand même, surtout les ballades Hey Lou et Lonely Street. Ailleurs, c’est comme si Wood et elle tentaient d’en faire trop, que ce soit par l’ajout inutile d’effets électroniques sur la voix (Spanish Doors) ou en s’aventurant maladroitement dans la pop expérimentale (Soul Sucker).
C’est dommage parce qu’il y a de bons moments sur Soberish, mais c’est comme s’ils étaient toujours interrompus par une idée mal avisée : la batterie électronique sur The Game ou la modulation hyper-convenue qui clôt Dosage. N’empêche, Phair prouve qu’elle est encore capable d’écrire de bonnes chansons accrocheuses, dont Good Side et la surprenante Ba Ba Ba, avec ses multiples changements de rythmique. Par contre, il n’y a pas d’excuse pour Bad Kitty, aussi premier degré que son titre.
Je suis déçu parce que j’avais vraiment envie d’aimer ce disque. J’ai toujours trouvé que la presse musicale avait été un peu injuste avec Liz Phair. Après tout, elle n’est pas la seule icône du rock alternatif des années 90 à avoir pris un virage commercial par la suite, mais peu se sont fait vilipender de la sorte. (Certains critiques ont eu des remords, comme Matt LeMay, auteur de la fameuse critique de l’album Liz Phair sur Pitchfork, qui s’est plus tard excusé.) Mais même si Soberish reste un album correct (c’est son plus réussi depuis whitechocolatespaceegg en 1998), ça tire un peu dans tous les sens, à l’image du collage tape-à-l’œil qui lui sert de pochette.