Critiques

Kele

The Waves Pt. 1

  • !K7 / KOLA Records
  • 2021
  • 50 minutes
7

Confinement oblige, la pandémie a forcé de nombreux groupes et artistes à revoir leur approche, à opter pour quelque chose de plus minimaliste en raison de la difficulté à réunir une bande de musiciens en studio. C’est dans cet esprit que le Britannique Kele (Bloc Party) lançait récemment The Waves Pt. 1, un album tout en retenue évoquant autant la musique de film que l’œuvre de Steve Reich et Philip Glass.

De la part d’un musicien qui a parfois versé dans un excès de grandiloquence, le geste n’est pas banal. Depuis le début de sa carrière solo en 2010, Kele (Okereke de son nom de famille) a souvent donné l’impression de vouloir se défaire de l’héritage indie rock de Bloc Party en versant à l’inverse dans une électro-pop un peu convenue. Par exemple, son deuxième album Trick, paru en 2014, proposait un univers très léché, marqué par des rythmes dansants et fortement influencé par la scène électro du début des années 2000. Après le presque folk Fatherland en 2017, il lançait il y a deux ans 2042, un disque fourre-tout mélangeant maladroitement la pop, l’électro et le rap, malgré un message très pertinent sur le racisme en Grande-Bretagne.

Misant presque exclusivement sur le pouvoir de la voix et les textures de guitares, The Waves Pt. 1 se situe aux antipodes de l’œuvre précédente de Kele. Il n’y a aucune batterie ici, ni même aucune pulsation soutenue pour battre la mesure. C’est un album de solitude créé bien sûr dans un contexte particulier dont le dépouillement et l’économie de moyens ne semblent pas avoir été provoqués par les circonstances, mais ils apparaissent plutôt comme le résultat naturel de la vision de l’artiste.

The Waves Pt. 1 combine à la fois des morceaux chantés, d’autres avec une narration et quelques pièces instrumentales pour former un tout d’une très belle cohésion. Les couches de guitares sont brillamment assemblées, avec souvent deux ou trois parties superposées, en plus de l’ajout occasionnel d’effets électroniques, notamment sur Smalltown Boy, une reprise d’un succès des années 80 qui prend ici une autre tournure en l’absence de batterie. Les musiques sont souvent répétitives, évoquant les codes de l’école minimaliste américaine des années 60 et 70 mais aussi l’œuvre du compositeur Arvo Pärt. On se surprend même à penser à Yann Tiersen sur un titre comme Nineveh, une des rares pièces basées sur une boucle de piano.

Malgré son instrumentation plutôt limitée, The Waves Pt. 1 n’est pas non plus dénué de grandeur, et Kele parvient à faire monter l’intensité en s’appuyant sur de subtils changements de texture. C’est le cas sur la délicate Message from the Spirit World en ouverture, où le musicien utilise sa collection de pédales d’effets pour évoquer l’idée d’une mer agitée. Parmi les moments forts, on retient également l’instrumentale The Patriots, la plus dramatique du lot avec sa basse lourde et insistante.

Sur le plan des textes, The Waves Pt. 1 n’est pas aussi chargé politiquement que 2042 et aborde des thèmes davantage personnels et intimistes, que ce soit la famille (très belle They Didn’t See It Coming), l’infidélité (poignante The Way We Live Now) ou l’anxiété (Intention, qui échantillonne une voix qu’on croirait sortie d’une séance de méditation guidée). Toutefois, on sent que Kele a voulu se libérer du poids des mots, et l’accent est souvent mis sur la musique plutôt que sur les paroles.

Bien sûr, The Waves Pt. 1 n’est pas sans défaut. Il y a quelques longueurs (notamment dans les pièces avec narration) et certains motifs musicaux pèchent parfois par excès de simplicité. Mais il s’agit peut-être de son disque solo le plus intéressant, le plus texturé et le plus évocateur, avec un très beau travail sur le plan des guitares. Le genre d’album parfait pour accompagner une balade nocturne en solitaire.