Critiques

Joni Void

Mise en abyme

  • Constellation Records
  • 2019
  • 46 minutes
7

Une œuvre dans une œuvre. Un film dans un film. Un rêve dans un rêve… Sensation d’infini. Les mises en abyme sont fascinantes, et l’artiste Joni Void en a fait le titre de son nouvel opus, lancé le 29 mars dernier. Dans ce deuxième album complet lancé sur le label montréalais Constellation Records, l’artiste y explore le concept, y voyant la quête de son identité renvoyée dans plusieurs miroirs.

Avant de signer avec ce label et de lancer Selfless en 2017, Joni Void a sorti 13 disques (!) en tant qu’indépendant depuis 2011; l’esprit DIY ressort donc indubitablement de Mise en abyme. Mélangeant avec aisance des états d’esprit a priori disparates, le processus de l’artiste aboutit en un collage recherché, tiré directement de ses archives personnelles comprenant des enregistrements datant de son enfance jusqu’au présent. Ceux-ci furent conservés sur différents supports comme des téléphones, des caméras, et même des films maison sur VHS.

L’artiste propose une déconstruction savamment structurée, alliant des textures éclectiques. Introspectif, mélancolique, Joni Void se fait gargouille qui contemple le monde. C’est une musique qui « statufie ». Peut-être ce musicien a-t-il passé à travers plusieurs vies traumatiques… L’album est sombre, surtout dans sa deuxième partie. Dans Persistence, Joni Void est un peintre qui aurait appliqué énormément de couleurs les unes par-dessus les autres jusqu’à saturation, pour obtenir le noir le plus profond et le plus viscéral.

On dénote une étude de la respiration à travers les premières pièces, où l’artiste a utilisé des échantillons de souffles et de voix pour créer des rythmes. D’ailleurs, les voix de plusieurs chanteuses (Noah, YlangYlang, Sarah Pagé et N NAO), dispersées sur la première partie de l’album, rajoutent un élément aérien et une chaleur humaine intéressante, même si certaines semblent un peu trop forcer leurs voix par moments.

No Reply (Interruption), pièce constituée entièrement de sons de téléphone, est particulièrement troublante. Des sonneries diverses et le fameux son du modem 56k se mêlent à des voix humaines « processées », électroniques ou informatiques. L’effet anxiogène est réussi; on s’y noie complètement. Ces sons se transforment peu à peu en mélodies, une sorte de délire construit efficacement autour du thème de la communication. La courte Deep Impression / Im Depression, dans laquelle on entend une voix synthétique un peu à la Fitter Happier de Radiohead, mais en féminin, nous amène près d’une sorte de névrose. On ne peut qu’être empathique devant cet épanchement de sang noir bien mesuré:

Paint a portrait of vulnerability, detach myself from the binary
Faceless. Burdened by discreet fame.
Endlessly pressing reset on the videogame
How many times will I change my name?

Deep Impression / Im Depression

On reprend un peu notre souffle avec la dernière pièce, Resolve (Outrospection). C’est réellement pour accompagner nos propres moments de douleur qu’on écoute ce disque salvateur. On peut maintenant placer deux miroirs face à face, histoire de peut-être se mettre dans la peau de Joni Void, et comprendre d’où diable peuvent bien surgir ces ténèbres réfléchies, d’apparence infinie.

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