Critiques

Igorrr

Spirituality and Distorsion

  • Metal Blade Records
  • 2020
  • 56 minutes
7,5

Spirituality and Distorsion est le quatrième album d’Igorrr, projet du français Gauthier Serre signé sous Metal Blade Records depuis 2017. D’abord projet solo essentiellement électronique, Igorrr est devenu depuis 2017 un groupe à plusieurs musiciens permanents. Gauthier Serre demeure le meneur de la bande, et fait d’ailleurs montre d’un savoir-faire assez époustouflant sur ce nouvel album, son nom apparaissant autant à peu près partout dans les crédits (composition, interprétation, mixage, matriçage).

Spirituality and Distorsion est en continuité directe avec son prédécesseur Savage Sinusoid. L’approche compositionnelle, très éclectique, est relativement similaire, avec une combinaison assez unique d’influences: classique, black/death métal, musique italienne, 8-bit, breakbeat, baroque. Quelques éléments orientaux s’ajoutent ici au coffre à outils d’Igorrr sans pour autant modifier véritablement la trajectoire du projet. Pour donner quelques repères, j’oserais avancer une certaine parenté avec Fantomas (pour le côté métal schizophrénique), Aphex Twin, Secret Chief (particulièrement sur cet album), Cannibal Corpse, JS Bach…

Si l’effet de surprise est amoindri pour les initiés, la valeur de ces nouvelles compositions n’en est pas négligeable pour autant. La production est limpide et précise. Les idées foisonnent, sans que ce soit chaotique. L’écriture est habile. Igorrr joue savamment sur les contrastes, opposant des moments lyriques à de brutaux déchaînements. Paradoxalement, ces contrastes incessants donnent une certaine linéarité à l’ensemble, et les frontières entre chaque pièce en deviennent parfois floues. L’album pourrait apparaître pour certains comme un flot quasi continu de passages musicaux distincts, sans grand climax. Ce n’est pas totalement faux. Il peut être difficile de s’y retrouver, à première écoute. Personnellement, j’y vois une belle randonnée en montagnes russes. 

Bruno Coulombe, dans sa critique de Savage Sinusoid, reprochait au projet une approche parfois humoristique. Il y a certes un aspect ludique dans cette musique si singulière, notamment avec l’utilisation de sons d’animaux (on y entend des échantillons de chèvre et de poule) mais cela ne m’apparaît pas être dans une perspective humoristique ou parodique, du moins pas aussi explicitement que le fît Mr Bungle, par exemple.

Certains pourraient reprocher à Igorrr de faire du surplace, en utilisant une quincaillerie assez similaire à celle de son précédent album. Cette critique m’apparaît plus ou moins valable et met surtout en lumière les défis inhérents à une démarche aussi singulière. Personne ne reprocherait à un projet rock ou jazz d’utiliser les mêmes instruments ou éléments que sur ses oeuvres précédentes. Mais pour un artiste expérimental, qui sort de la boîte, on aura l’impression qu’il se répète s’il adopte une démarche similaire plus d’une fois. On y verra une redite. Je m’y oppose ! 

La démarche d’Igorrr poursuit en quelque sorte une certaine tradition d’éclectisme entamée ou poursuivie par Frank Zappa, Mr Bungle John Zorn et cie. Toutefois, Igorrr s’y démarque par une approche singulière qui combine une écriture instrumentale avec une production découpée au couteau rappelant celle de la musique électronique. Tout ici, ou presque, a été joué et enregistré par des musiciens en studios; on ne recherche toutefois clairement pas un effet band live.

Il n’y a pas véritablement de pièces faibles sur cet album. Plusieurs moments se démarquent toutefois du lot :  passages a aappella de Polyphonic Rust, la présence de Georges Corpsegrinder Fischer, actuel chanteur de Cannibal Corpse, sur Parpaing, les riffs de guitare et basse sur Very Noise, les inflexions orientales de Camel Dancefloor, le mélange chanson italienne / death métal de Kung-fu Chèvre.

Une oeuvre aussi éclectique que celle d’Igorrr nécessite un état d’esprit assez particulier pour être bien abordé. Définitivement, c’est une oeuvre qu’on pourrait qualifier de post-moderne, en ce sens qu’elle mélange sans distinctions plusieurs esthétiques, brouillant les codes, faisant fi de certaines hiérarchies, notamment entre musiques populaires et savantes. On peut assez facilement prévoir certaines critiques formulées à l’encontre d’une telle musique. Les connaisseurs de classique trouveront sans doute l’écriture facile, voire cliché. Les amateurs de métal pourront facilement citer quelques autres groupes plus brutaux, plus complexes. Prises individuellement, les références dans la musique d’Igorrr peuvent apparaître faciles. Mais l’habileté, la virtuosité j’oserais dire, dont fait preuve Igorrr dans ses compositions rehausse le tout, à mon avis. 

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