Ida Toninato
Strangeness Is Gratitude
- Kohlenstoff Records
- 2016
- 45 minutes
J’ai entendu pour la première fois Ida Toninato à une édition du festival Akousma, en duo avec Ana Dall’Ara Majek lors d’une prestation de leur projet Jane/Kin. Ce dont je me rappelle, entre autres, est l’effet hypnotisant du saxophone baryton, de ses vibrations qui ronronnent et bercent l’oreille. C’est ce que l’on retrouve en partie sur Strangeness Is Gratitude, premier album paru en avril dernier sur l’étiquette Kohlenstoff, dont l’effet solo laisse de l’espace à la réverbération du lieu de l’enregistrement, et à la prise de son orientée vers le souffle de Toninato. Ce rapprochement vers la matière et l’artiste rend l’expérience sonore plutôt personnelle, un genre de proximité auquel on est moins habitué en électroacoustique.
Wanderers débute sur une première note réverbérée, rejouée en écho. Le jeu s’élargit dans les graves et ouvre la mélodie en diésant la note initiale; le thème sous-marin passe presque inaperçu. Outre l’effet physique du saxophone baryton, on remarque progressivement comment le lieu de l’enregistrement réagit à la prestation, c’est magnifique. Ida’s Dream nous fait oublier les longues notes, et se développe plutôt de façon saccadée, liée par les rebondissements sonores dans la pièce. Toninato joue sur les harmoniques de l’instrument jusqu’à le faire crier, passages cauchemardesques.
Les chuchotements introduisent Frissoneur de Nuit, formés de notes posées et d’une prise de son plaçant le souffle à l’avant. L’atmosphère est solennelle, comme un hymne militaire lors de funérailles officielles. Désir rallonge davantage les notes, le souffle est moins pressé, la vibration prend le temps d’osciller. La réverbération du lieu est tout aussi superbe et ajoute sa propre performance à celle de Toninato.
Distance raisonnable reprend le jeu en écho, décoré de quelques bifurcations dissonantes. L’intensité sonore de certains passages donne l’impression que le saxophone va à la rencontre de certaines ondes stationnaires, et créer un dialogue acoustique avec le lieu.
Ida’s Dream II nous ramène à une étape froide et inquiétante du rêve, où les notes flottent et scintillent dans le registre aigu. Le passage bruité vient ponctuer brièvement la mélodie. Hymne conclut en beauté sur une mélodie légèrement mélancolique.
Il y a clairement quelque chose d’ésotérique sur Strangeness Is Gratitude qui a été sollicité; comme une espèce de transe spatio-temporelle. Les longues notes allongées par la réverbération passent comme un glacier, les oreilles gardent une distance (raisonnable) au cas où un iceberg leur tomberait dessus. La sitedemo.cauction est simple et efficace, et réussit à honorer le jeu de Toninato et les lieux visités avec justesse.
Ma note: 8/10
Ida Toninato
Strangeness Is Gratitude
Kohlenstoff Records
45 minutes