Critiques

Hugo Blouin

Charbonneau ou les valeurs à’ bonne place

  • Indépendant
  • 2018
  • 52 minutes
7

Le projet Charbonneau ou les valeurs à’ bonne place se compose de deux parties. D’un côté, on retrouve le musicien et compositeur Hugo Blouin. Fort de dix ans d’interprétation jazz au sein du Trio Jonathan Turgeon, du groupe MAZ et de l’orchestre Pic-Bois, le contrebassiste s’adonne aussi de plus en plus à l’improvisation. De l’autre, on a la Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, mieux connue sur le nom de la commission Charbonneau. Présidée par France Charbonneau, cette commission a fait les choux gras des chaînes d’informations continues et des émissions humoristiques d’actualité durant quatre ans, de 2011 à 2015. D’ailleurs, l’émission Infoman a salué le projet d’Hugo Blouin, en réclamant même la prestation au Festival de jazz cet été. L’idée est drôle, clairement. Faire du beau avec ce qui a exaspéré le peuple québécois durant tant d’années est très tentant. Est-ce que l’exercice dépasse l’anecdotique?

Deux méthodes de réutilisation du matériel de la commission Charbonneau sont présentes sur l’album. Les extraits non chantés, mais rythmés avec la musique sont parfois très efficaces : par exemple, dans l’introduction de L’appel, on entend uniquement Francesco Del Balso menacer un entrepreneur, le tout augmenté des notes de piano et de contrebasse qui modulent la voix et suivent totalement la prosodie de celle-ci. Cependant, la méthode la plus utilisée et la plus surprenante est l’interprétation des pièces en retravaillant les paroles de la Commission et en les structurant comme de véritables chansons.

Dans plusieurs cas, le collectif y réussit très bien ! La première chanson donne le ton de ce travail. Des valeurs d’entraide met en scène Gérald Tremblay, ancien maire de la ville de Montréal; par la suite, Kathryn Samman chante avec entrain « les valeurs d’entraide qu’il y a dans [sa] famille ». Essayer d’aller au même débit que la personne qui parle s’avère un défi de taille. Le premier extrait Does it mean bateau? est vraiment bien exécuté avec la voix qui susurre le tout de façon langoureuse, avec une structure couplet/refrain qui rend la chanson facile à retenir. « Does it mean hockey tickets? » n’aura jamais paru aussi émouvant que dans ce contexte ! Mettant aussi en scène Gérald Tremblay, Le winibago est aussi très efficace avec son refrain et des chœurs qui rajoutent à l’effet comique. Sur d’autres, malgré la musique jazz bien orchestrée, les propos sont plus plaqués et semblent couler moins bien. Par exemple, La responsabilité et La retraite sont d’excellentes pièces qui tirent vers le free jazz, avec une musique complexe et plusieurs superpositions vraiment intéressantes, mais qui auraient très bien pu vivre sans les paroles. D’ailleurs, dans La responsabilité, on entend très peu celles-ci tant elles sont noyées dans un jeu de piano et de tuba.

Par son rendu inégal, l’album n’est pas vraiment un incontournable, mais l’album mérite qu’on y jette une oreille pour la richesse de sa musique et son humour. En ces temps de cynisme politique, il est quand même rafraîchissant de constater qu’un matériel aussi déprimant peut être aussi inspirant.

 

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