Critiques

Halsey

The Great Impersonator

  • Columbia Records
  • 2024
  • 66 minutes
7,5

Je vais mettre les biais de côté dès le début : cela fait maintenant près de 9 ans que je suis la carrière de Halsey, et je suis énormément attachée à sa musique. Même si elle* n’a jamais eu un succès critique très prononcé (à mon grand regret), j’ai toujours été une fervente admiratrice de son art. Au courant de sa carrière, Halsey (de son vrai nom Ashley Nicolette Frangipane) s’est appuyée sur des concepts élaborés pour agrémenter son œuvre musicale, et quand elle y arrive, le résultat crée des flammèches. Son dernier projet, l’excellent If I Can’t Have Love, I Want Power (co-produit par Trent Reznor et Atticus Ross des Nine Inch Nails, rien que ça!) en est la preuve vivante.

Nous voici maintenant avec son nouvel album, The Great Impersonator, projet qu’elle affirme avoir réalisé entre la vie et la mort, l’artiste ayant été criblée de maladies au cours des dernières années. Pour la promotion, Halsey a eu une idée astucieuse : chaque jour jusqu’au 25 octobre, sur les réseaux sociaux, elle s’est mise dans la peau d’un.e artiste ayant influencé chaque piste de son projet, allant de Kate Bush à David Bowie en passant par Fiona Apple et Tori Amos. Avec autant d’inspirations, on peut se dire qu’on a affaire à un album composé de plusieurs pastiches plutôt qu’à un produit original, mais cela n’en est rien. Car, The Great Impersonator s’avère plutôt être le projet le plus vulnérable et personnel de la carrière de Halsey.

Déjà, ce projet aborde de plein fouet la maladie et ses ravages sur l’artiste. Atteinte entre autres de lupus et de troubles de lymphocytes T, sa santé en a pâti énormément, donnant un sentiment d’urgence et de fatalité à l’album. Sur l’émouvante The End et la dévastatrice Life Of The Spider (nommée « brouillon » de par sa nature très lo-fi et sensible), Frangipane nous raconte le quotidien difficile d’une personne vivant avec une maladie chronique, avec ses doutes, ses pensées sombres et la souffrance qu’elle apporte. Viennent également la rage et le désespoir avec deux des meilleures pistes de l’album : Lonely Is The Muse ainsi que la très PJ Harvey-esque Dog Years. C’est d’ailleurs dans ce registre que la voix de Halsey brille de mille feux, tantôt cynique, tantôt torturée par les cris. Sur la chanson-titre (inspirée par Björk), sa voix virevolte tel un papillon prenant son dernier envol, ce qui rend le morceau très agréable à l’écoute. Plus loin, sur Darwinism, l’ambiance se veut fantomatique, presque horrifique, le piano agissant comme un condor survolait une plaine déserte. Arsonist, quant à elle, hypnotise grâce à un refrain murmuré et désolé.

Malgré les thèmes sombres, certaines productions parviennent à nous donner un peu d’apaisement. Le morceau très country Hometown se veut un hommage à un ami décédé tout en gardant l’espoir que quelque part, là-haut, il puisse encore vivre une existence digne de ce nom. Plus tard, dans un morceau se voulant un hommage à la Ashley de l’époque de Badlands (un bouton automatique pour me rendre nostalgique), Hurt Feelings nous propose une mélodie agréable et réconfortante, malgré les thèmes de nostalgie et du temps passant à toute vitesse. Panic Attack, quant à elle, laisse perplexe : « Is it love or a panic attack? » nous demande Halsey, perdue dans ses émotions et à court de repères. Au final, même dans ses moments les plus joyeux musicalement parlant, The Great Impersonator demeure empreint de tristesse dans tous ses coins et recoins.

Il est très difficile de donner un verdict final et définitif sur cet album. Avec 18 chansons (!!), des sujets graves et un contenu dans les paroles dense, l’auditeur aura sans doute besoin de quelques écoutes supplémentaires pour saisir toutes les nuances contenues dans cet album. The Great Impersonator résonne comme un testament, mais se veut également comme une tribune témoignant de la fragilité de l’être. Il est parfait dans son imperfection et désordonnée à l’image de la vie. C’est un album qui frappe, touche, surprend tout en rappelant que l’espoir se cache même là où nous nous y attendons le moins. The Great Impersonator, c’est un album difficile d’accès, mais également une prouesse artistique impressionnante et pleine de résilience. Chapeau, l’artiste.


*Halsey emploie les pronoms elle/iel (she/they) pour se désigner. Le texte emploie ici le pronom « elle » pour faciliter la lecture.

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