Le syndrome du deuxième album, ou, comme les mélomanes le connaissent, celui de la confirmation. Nombre d’artistes ont su surpasser les attentes quand est venu le temps de concevoir un second projet, comme d’autres se sont complètement perdus après avoir lancé le disque de leur vie. Le rappeur Freeze Corleone a lui aussi dû récemment se prêter à l’exercice. L’Attaque des clones ne représente pas le deuxième projet de l’artiste français, mais c’est tout comme. Le 11 septembre 2020, trois ans jour pour jour avant la parution de ce nouvel opus, Freeze Corleone débutait une nouvelle trilogie musicale avec La menace fantôme (voyez la suite logique, jeunes padawans?). Une secousse, un tremblement, même, dans l’univers du rap francophone. Les thèmes abordés dans les paroles ont valu un lot de polémiques envers l’artiste, les masses qualifiant Freeze Corleone de « raciste » et « d’antisémite » à la suite de références à des personnages comme Adolf Hitler ou Oussama ben Laden. L’Attaque des clones ne faillit pas à la réputation controversée du rappeur.

Freeze Corleone connaît beaucoup de qualités artistiques, l’art de réussir les introductions en fait bel et bien partie. La barre n’a peut-être pas été mise aussi haute que dans ce chef-d’œuvre du rap français moderne que l’on appelle Freeze Raël, premier morceau de La menace fantôme, mais l’ouverture de L’Attaque des clones, MW2, permet de mettre le goût dans la bouche de l’auditeur par rapport au reste du projet : sombre, provocateur et efficace. Le morceau débute avec un audio d’une journaliste de l’émission LCI questionnant l’étendue, mais surtout, les limites de la liberté d’expression. Un choix profondément cynique qu’est celui d’intégrer des extraits critiquant son travail, répété notamment sur des titres comme L’homme méthode ou Ancelotti. Freeze Corleone montre le visage d’un artiste pleinement opposé au système, à la manière d’Orelsan, mais en encore plus tranchant dans ses propos. Tranchant, au point de réclamer publiquement la mort de l’humoriste français Pierre Palmade, aux prises avec une polémique après avoir percuté un véhicule en début année sous l’usage de stupéfiants, dans le refrain de Tse Chi Lop :

PDM pour Pierre Palmade
Si possible avec des techniques qui viennent d’Allemagne

– Tse Chi Lop

Palmade n’est pas la seule victime de l’artiste, alors que celui qu’on surnomme « Chen Zen » traite nombre de personnalités publiques (Joe Biden, Jack Lang, Bill Clinton) de pédophiles ou de violeurs dans le courant de ses morceaux. En soi, l’artiste pourrait être qualifié par beaucoup d’un gourou sectaire, d’un complotiste, mais cette fois-ci, un complotiste que l’on écoute. On apprécie le courage de Freeze Corleone de prendre la parole sur des sujets aussi sensibles et qui lui tiennent à cœur, en se demandant s’il ne dépasserait peut-être pas souvent les bornes.

Plus l’écoute de L’Attaque des clones continue, et plus l’auditeur pourrait remarquer que Freeze n’a pas réellement changé cette recette qui lui a valu son succès par le passé. Une ambiance oppressante, claustrophobe, à souvent rappeler un film d’horreur, des inserts du mot « ekip », de l’ego trip, mais surtout, des références à n’en plus finir. Pour les férus de culture générale, écouter du Freeze peut s’apparenter à une réelle mine d’or. Pour ceux n’étant pas des plus familiers avec la culture populaire, un sentiment de dépassement pourrait logiquement se faire ressentir. Ajoutez à cela son utilisation abusive du mot « comme », permettant ces comparaisons qui facilitent pleinement la rime (à 328 reprises sur le projet en entier, soit 76 fois de plus que sur son dernier album), et vous vous retrouvez avec un projet similaire à La menace fantôme, ou même à son premier disque, Projet Blue Beam. La direction artistique a le mérite de plaire aux nostalgiques des débuts, mais a autant de chance d’ennuyer les auditeurs réclamant de la nouveauté par peur de s’ennuyer. D’album en album, on souligne la technique et le flow de l’artiste, confirmant une nouvelle fois d’une manière indéniable que Freeze Corleone occupe le podium des rappeurs les plus techniques de la francophonie.

Sur un total de 13 titres, zéro collaboration à distinguer. Alors qu’une mode semble se dessiner chez les rappeurs français actuels, celle de combiner le rap au chant, Freeze ne s’y prête aucunement, dans la même veine que le Parisien Alpha Wann, avec qui il a déjà collaboré auparavant sur Rap Catéchisme. La forme la plus limpide, la plus pure du rap, encore une fois dans l’optique de plaire aux adorateurs premiers de l’artiste.

Si, vers le milieu du projet, cette impression de répétition semble primer, malgré les morceaux ne décevant nullement dans leur globalité, le troisième tiers de L’Attaque des clones apporte ce sentiment contraire. Après avoir laissé un semblant de renouvellement sur L’homme méthode, à la production boom bap pouvant rappeler cette tendance « old-school » américaine, Freeze laisse entrevoir cette image davantage introspective dès l’entame de Jour de plus, encore une fois à la production two-step ne lui ressemblant nullement. « J’remercie Dieu pour chaque jour de plus », lâche-t-il une vingtaine de fois dans le courant du morceau. Comme si l’artiste n’aura d’autre choix que d’ultimement changer la recette Freeze. L’Attaque des clones ne représente pas seulement le titre de l’album, et du deuxième épisode de Star Wars, mais bien ce sentiment que ressent l’artiste face à son influence dans le rap français lors des dernières années. En lançant La menace fantôme, Freeze Corleone eut le mérite de populariser la drill en France, suivi par des rappeurs comme Gazo ou Ziak. Suivi, ou plutôt copié, à ses yeux, ces artistes ne représentant que de simples clones à ses yeux.

Dans l’rap jeu, j’ai plus d’enfants que dans les sous-sols de chez Bill Clinton

– Bill Clinton

On se donne rendez-vous le 11 septembre 2026 pour La Revanche des Sith.

Peut-être.