Freddie Gibbs + The Alchemist
Alfredo 2
- ESGN Records / Virgin Music Group
- 2025
- 48 minutes
La première moitié de l’année 2025 était plutôt tranquille au rayon des sorties hip-hop excitantes. Puis, l’été est arrivé et, coup sur coup, on a eu droit aux disques relevés de Little Simz, de Clipse et de Tyler, The Creator, sans oublier J.I.D et Joey Bada$$, deux artistes qui, le mois prochain, présenteront du nouveau matériel pour la première fois en trois ans. Finalement, il y a l’album à l’étude qui vient couronner ce florilège de projets estivaux qui font couler beaucoup d’encre.
Comme il l’ont fait en 2020, l’émérite rappeur de l’Indiana, Freddie Gibbs, et le savant producteur californien The Alchemist unissent leur force sur un nouveau projet collaboratif. Fiers du succès qu’ils ont eu avec Alfredo, les collègues remettent ça avec un second tome. À l’instar du premier, celui-ci est propulsé par des productions minutieusement construites, imaginées par ALC et par la verve expérimentée d’Oncle Gibbs. À noter qu’entre les deux volumes, les deux artistes n’ont pas chômé. Le rappeur a lancé les disques $oul $old $eparately et You Only Die 1nce, tandis que l’ingénieur du son a collaboré avec Lary June et Earl Sweatshirt, et fera aussi paraître un album avec Erykah Badu cette année.
Trêve de présentation. Qu’arrive-t-il quand on pèse sur « play »? Les usuels « Check check » sortent enfin de la bouche du MC et on sait qu’on est parti pour un tour. Même si, sur la pochette, un ramen remplace les fettucines Alfredo du premier volume, on y retrouve la même main de marionnettiste à la Godfather, annonciateur du gangster rap dont le rappeur à la recette et qui va suivre.
Rapidement, l’album se met en branle et, dès la première chanson, on retombe sous le charme des deux artistes. Les guitares électriques font un grand retour sur 1995, comme sur 1985, la chanson d’ouverture d’Alfredo. À nouveau, on s’attarde à la différence de tons entre les productions rêveuses, RnB et jazzy de l’alchimiste et les bars incisives de Gibbs, qui, lui, ne démord pas. Que ce soit avec son coke talk, ses double entendre intelligents ou l’exposition de ses faits d’armes, le MC n’est pas reconnu pour gaspiller sa salive. « I’m ridin’ in the Demon on Lincoln, I’m dodgin’ potholes / Feds hit my shit, they ain’t gettin’ shit, Mar-a-Lago », l’entend-on rapper avec fougue sur Mar-a-Lago.
Il déballe tout ça sur des instrus aux élans boom bap, mais souvent doucereuses et ornées de notes au piano. L’album est également garni des échantillons de films japonais. Alors que Alfredo nous conviait dans un univers inspiré par la mafia italienne, ici, on fait un détour au Japon, influencé par sa pègre locale: les yakuzas.
Notre première lampée de cet album est absolument délicieuse, avec la succession des premières chansons. Celles-ci défilent en vitesse et nous laissent ébahis grâce à leurs productions gouleyantes et aux lignes acerbes que lance Gibbs à ceux qui le veulent. Tout au long du record, le rappeur ne se fait pas prier pour régler des comptes ou pour en partir de nouveaux. Par exemple, sur Empanadas, Freddie Gibbs s’en prend à ses homologues Jim Jones et Benny The Butcher. Il remet ça, acariâtre, sur Lavish Habits, alors que les cibles sont le podcasteur DJ Akademiks et le rappeur Gunna.
« I’m still gon’ squeeze Akademiks t*tties, that fat b*st**d
Gunna dissed me and took a plea, he a rat b*st**d. » »
– Lavish Habits
La production jazz noire de Mar-a-Lago et celle plus rythmée de la succincte Lemon Pepper Steppers nous dirigent vers l’un des nombreux moments forts de l’album. Ensalada est, selon moi, ce qu’on peut appeler un classique instantané. La collaboration avec Anderson .Paak fait état d’une cohésion effarante, alors que l’artiste invité déploie un refrain génial. Le timbre aride et le tonus de Freddie Gibbs lui insufflent une agressivité qui est balancée par la venue de Paak, et par une instrumentation mélancolique qui unit des chœurs et des cordes texturées.
Ce morceau est l’une des trois collaborations de l’album, alors que les pièces Feeling et Gold Feet, invitent respectivement les rappeurs Lary June et J.I.D. Ce dernier épate la galerie avec son couplet déjanté qui, comme à son habitude, est imprévisible avec l’arythmie de sa cadence bien à lui. L’union est mémorable avec un Freddie qui s’amuse aussi avec le rythme de sa prose.
Il n’y a pas de moments faibles sur ce projet. Avec ses 14 chansons, ce nouvel opus défile à vive allure et plusieurs autres moments forts le portent jusqu’à la fin. Pour la deuxième moitié, ce sont les morceaux Shangri La, Lavish Habits, Gold Feet et A Thousand Mountains qui s’en chargent.
Comme son prédécesseur, Alfredo 2 jouit d’une rejouabilité sans contredit avec sa production tout aussi fine. Gibbs nous fait tourner la tête avec ses lignes irrévérencieuses et plus aiguisées les unes que les autres.
Alors, qu’est-ce que ça donne quand on unit deux des artistes les plus prisés et talentueux dans leur catégorie? Un autre album classique, qui vieillira comme le bon vin et qui peut aspirer aux grands honneurs lors d’un gala de fin d’année. Ce nouveau succès prouve autre chose: l’impeccable cohésion entre les deux créateurs, rappelant celle de duos mythiques de MF Doom et de Madlib, de Tom Brady et Bill Bellichik ou, encore, de Rose-Anna et Ti-Coune. Il prouve aussi la constance du MC qui présente une discographie qui n’a pas à rougir devant celles d’un top 3 du rap américain. D’ailleurs, après tout ça, ça commence à être difficile de ne pas y inclure Freddie Gibbs.