Critiques

FET.NAT

Le Mal

  • Indépendant
  • 2019
  • 36 minutes
8,5
Le meilleur de lca

FET.NAT, ça a toujours été une bibitte hors du commun. Oscillant entre le free, le punk, l’électro, le prog, le kraut et plus ou moins tout ce qui peut s’y rattacher de près ou de loin, ils œuvrent dans une branche marginale de la musique québécoise abritant les René Lussier, l’Infonie, les zouz, Les George Leningrad et les Nathalie Derome de ce monde reclus… Bref, de leur parcours anarchiste résolument opposé à l’écosystème industriel a émergé plusieurs petits projets de quelques pistes toujours très cohérents. Déjà là, le chapeau lève; faire émerger un vecteur de ce rhizome esthétique, c’est tout un défi! En contrepartie, il va s’en dire avec raison qu’un contenant concis s’accorde bien avec cette tâche. Après le très bon Poule Mange Poule, donc, qu’en est-il de leur troisième projet d’envergure (soit de 36 minutes, leur plus long à ce jour), tout bonnement intitulé Le Mal?

Première constatation : la bande gatinoise parvient encore à se réinventer! Leur son est plus sec, leurs compositions plus pointillistes, leurs rythmiques vacillantes le sont moins ~ le sont différemment, la production est plus intime — jusqu’à quelques moments d’une finesse sans précédent dans leur œuvre. Deuxième constatation, suivant presque immédiatement la première : c’est probablement leur projet le moins accessible à date. Ceci n’est absolument pas un jugement de valeur, mais plutôt une observation; presque plus d’un mélodisme qui était déjà épars, peu d’éléments accrocheurs* (à part la catch phrase des deux Patios : No money, no honey), des formes déglinguées — peu conventionnelles, à tout le moins…

[quelques écoutes plus loin]

Non-la-moindre constatation : personne d’autre que FET.NAT ne pouvait faire un tel album, et ça tire plus pointu que dans le mile! Leur genre de funk frugal — auquel on aurait retiré le trois quarts des notes — joué sur le drum de Ringo avec Pierre Henry à la prod et Normand L’Amour fatigué à la voix… c’est du baroque de fortune! du tout fait avec du pas grand-chose (à noter la riche économie de matériaux : beaucoup d’éléments compositionnels et d’objets sonores sont réutilisés à travers les huit pistes qui se reflètent entre elles)! Par la démocratisation des outils, par l’esthétique de la répétition, par l’espace sonore hautement frontal, le groupe représente à merveille son époque, et sa proposition transcende complètement les enjeux qu’il laisse pleinement transparaître, qu’il utilise, qu’il vire à son avantage.

Personnellement, j’ai un peu de difficulté à apprécier les formes (d’une façon autre que conceptuelle; elles font un écho sympathique bien qu’assez vide aux rythmiques saccadées et contorsionnées). À la fois à l’intérieur de chaque piste qu’au cours de l’album, les morphologies, un peu comme les grooves presque sous-entendus, ne nous portent que rarement d’elles-mêmes. Certainement, cet aspect déplaira à plusieurs — et le groupe n’en tombera pas su’l’cul. Mais, les explorations plastiques de Des fois II, le très beau (et délicat!) point critique rythmique à la fin de Patio Monday, l’électro sombre de Tapis d’Orient et les taches exogènes sur les batteries de Patio Tuesday ne manqueront pas d’achever les fervents de musique moyennement compréhensible.

*Précision opiniono-théorique: le caractère accrocheur d’une œuvre musicale n’est, pour moi, qu’un paramètre parmi tant d’autres de celle-ci. Une œuvre n’est pas bonne parce qu’elle est accrocheuse (et ce d’autant plus dans la mesure où le catchyness est en grande partie une question de répétition d’information), et une autre n’est pas mauvaise parce qu’elle n’est pas infestée de vers d’oreille.

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