Feist
Multitudes
- Interscope Records
- 2023
- 46 minutes
Ne vous fiez pas aux six années d’absence de Leslie Feist sur disque : la dame ne s’est vraiment pas vautrée dans la sédentarité. L’artiste a vécu beaucoup de choses qui l’ont inspirée et poussée à créer. De prime abord, elle est devenue mère monoparentale en adoptant un enfant et a également déménagé ses pénates à Toronto. Ensuite, la Canadienne a effectué une tournée en mode intimiste. Pendant cette série de concerts dépouillés et minimalistes, elle a essentiellement établi les bases des nouvelles compositions qui font aujourd’hui partie de son nouvel opus titré Multitudes.
Avec les albums Metals (2011) et Pleasure (2017), Feist s’est distanciée significativement de la pop qu’elle nous proposait avec les albums Let It Die (2004) et The Reminder (2007). C’est donc avec une curiosité certaine qu’on anticipait l’écoute de ce nouveau long format. Après autant de temps passés hors des feux de la rampe, est-ce que la musique de Feist demeure toujours aussi émouvante et pertinente ?
Dès les premières écoutes, c’est la proximité sonore qui caractérisait l’album Pleasure que l’on retrouve avec joie. Cette intimité est renforcée par le caractère quasi sacré de la tournée qui a servi à la gestation de ce nouvel album. Or, Multitudes est moins austère que pouvait l’être Pleasure. En fait, ces nouvelles chansons sont en parfait équilibre entre le dépouillement initial des premières versions présentées en concert et les délicats arrangements éparpillés tout au long de l’album. Bien sûr, la voix fragile et suave de l’autrice-compositrice est mise à l’avant-plan augmentant ainsi la charge émotive de ces nouveaux morceaux.
Sur Multitudes, Feist réfléchit en chanson sur les trois principaux cycles de l’existence : la naissance, la mort et la résurrection. Elle explore des sujets personnels, mais avec une transparence qui évite l’hermétisme et la grandiloquence littéraire. Dans Hiding Out in the Open, elle se demande pourquoi nous esquivons constamment les prises de conscience si essentielles à notre évolution. Et ce questionnement est exprimé avec une franchise sans équivoque :
Everybody’s got their shit
But who’s got the guts to sit with it?
Everybody’s on their own
So that way we’re never alone
But the mirror in another’s eyes
That’ll get you every time
There are a thousand different ways to hide
– Hiding Out in the Open
Dans Become the Earth, elle rend un hommage bouleversant à son père, Harold Feist, un enseignant universitaire en arts visuels et histoire de l’art décédé en 2021.
Some people have gone and the people who stayed
Will eventually go in a matter of days
Dust into dust as material must
Ash into ash into plexi and trash
– Become the Earth
Comme toutes les créations récentes de l’artiste, vous devrez plonger plus d’une fois dans ces chansons subtiles et denses afin d’en saisir la substanfique moelle. Parmi les meilleurs moments de ce long format qui ne contient aucune pièce faiblarde, le refrain hymnique dans Borrow Trouble est un véritable pourvoyeur de frissons. Les voix superposées et traitées numériquement dans Become the Earth bonifient la révérence funèbre que Feist rend à son père. Les acrobaties vocales dans l’introductive In Lightning évoquent le travail de la formation Dirty Projectors et la conclusive Song for a Sad Friend est une émouvante chanson folk orchestrale. Par-dessus tout, ce sont les mélodies vocales sinueuses et cryptiques de l’artiste, se révélant au fil des écoutes, qui constituent le génie de cette magnifique création.
Multitudes est un album postpandémique parfait qui contraint l’auditeur à plonger en lui-même afin de prendre conscience de son propre état d’esprit et, par le fait même, celui de ses semblables.