Critiques

Ethel Cain

Willoughby Tucker, I’ll Always Love You

  • Daughters of Cain
  • 2025
  • 73 minutes
8,5
Le meilleur de lca

Plus tôt cette année, en janvier, j’avais rédigé une critique sur le Canal d’un EP de 1 heure et 29 minutes (!!!), Perverts, odyssée dans la musique drone et ambiante à la sauce de son interprète, Ethel Cain. Aujourd’hui, à ma grande surprise, je me retrouve à rédiger une nouvelle critique et, cette fois, pour un tout nouveau projet. Pour rappel, Ethel Cain, alias Hayden Anhedönia, est une artiste floridienne ayant fait des vagues dans le monde de la musique indie, avec des morceaux mettant en valeur le slowcore et l’americana en passant par le folk et la darkwave. Avec un album complet et quelques EP à la clé, la chanteuse affiche une ambition et une passion pour son art qui fascinent.

Cette fois, en ce mois d’août, nous découvrons le dernier chapitre de l’histoire fictive d’Ethel Cain, jeune fille éternellement romantique, enlevée, portée disparue et éventuellement tuée et cannibalisée. Cette fois, ce pan de cette tragédie se dévoile sous la forme d’un « prequel », nous présentant les évènements se déroulant avant Preacher’s Daughter. Et avant le chaos et la mort, il y avait l’amour avec ses incertitudes et sa souffrance. Il y avait Willoughby Tucker.

Willoughby Tucker, I’ll Always Love You (dédié à un personnage qui était déjà évoqué sur le morceau A House In Nebraska en 2022) est un projet profondément triste. Connaissant l’histoire d’Ethel Cain, donc, comme racontée dans Preacher’s Daughter, nous savons déjà comment celle-ci se termine, et c’est ce qui serre le cœur, particulièrement sur Nettles, qui, très franchement, me tire les larmes à chaque écoute. Cette supplication de la jeune fille envers Willoughby de la rassurer constamment, la narratrice craignant que celui-ci disparaisse sans laisser la moindre trace, le tout avec cette performance vocale fragile comme une plume et ce violon bouleversant, bref, c’est la recette parfaite pour me faire chialer. Un autre morceau que j’attendais énormément, car, ayant déjà été interprété quelques fois en concert par le passé, c’était Dust Bowl. Et disons que mes attentes ont été bien récompensées, avec ses réverbérations tournoyantes pendant le refrain, donnant à la chanson une atmosphère douce-amère. “Grew up hard, fell off harder, cooking our brains, smoking that shit your daddy smoked in Vietnam”, chante l’artiste floridienne avec une nostalgie perverse, suivi d’un drop de batterie qui m’a véritablement éblouie.

Là où je pourrais adresser mes quelques reproches, ce serait en la présence parfois superflue des morceaux exclusivement instrumentaux. On en compte trois en tout, soit le thème de Willoughby, son interlude, ainsi que Radio Towers; cette dernière aurait pu bénéficier de quelques minutes en moins en raison de ses longueurs. Ironiquement, cela est un des rares moments où une pensée comme telle jaillit, car les longueurs sont, en quelque sorte, la force du disque. Cet album prend son temps, laisse durer toutes les notes, toutes les paroles, laissant la douleur prendre sa place, bien profondément. Tempest, dans ses dix minutes top chrono (ou presque), laisse le désespoir durer au point de l’insoutenable, si bien que, quand le tout se termine de manière abrupte, on en veut encore. C’est fou comme ça. Inversement, sur un morceau plus pop comme Fuck Me Eyes, les synthétiseurs enveloppent au lieu de se cacher, innovent au lieu de paraphraser et, surtout, habitent au lieu de pasticher. Ça fait un bien fou.

En janvier, je parlais du morceau de 12 minutes prénommé Amber Waves, présent sur Perverts, mais cela n’était même pas la forme finale d’Ethel! La dernière piste du présent album, Waco, Texas (portant d’ailleurs les initiales du cher amant de la narratrice), synthétise l’amour qu’Ethel a porté à Willoughby, et à quel point ses sentiments contradictoires, aimants envers lui et haineux envers elle-même, ont créé des tourments insurmontables, qui ont fini par la porter au bord du précipice. Rarement des paroles si littérales à première vue ont été aussi lourdes de sens, portant avec elles le poids d’un destin inévitable. En 15 minutes, on passe à travers un spectre impressionnant d’émotions. Clairement, nous sommes face à un des grands morceaux de la carrière d’Ethel Cain.

C’est une évidence, Willoughby Tucker est un album dense qui nous laisse avec plus de questions que de réponses, tant sur sa forme que sur son fond. Pourquoi le thème et l’interlude de Willoughby se ressemblent-ils autant? Mais qui sont les autres filles tournant autour de lui et d’Ethel? Qu’advient-il de Willoughby? Quelque part, je n’ai pas envie de répondre à toutes ces questions. La beauté de l’art se trouve également dans la suggestion, l’ombre, le mystère. C’est dans l’ombre que l’être humain devient parfois humain, et ce, sous toutes ses formes, belles comme laides. Ethel Cain, le personnage, la jeune fille fictive, a beau être morte, mais son histoire demeure, que ce soit pour nous hanter de par son horreur ou pour nous bercer de par son humanité profonde. C’est à vous de décider.

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