Ethel Cain
Perverts
- Daughters of Cain
- 2025
- 89 minutes
Celui-là, je l’attendais au tournant. Ethel Cain, c’est le genre d’artiste comme on en fait peu. Après la sortie du somptueux Preacher’s Daughter en 2022, album-concept tournant autour de la vie et de la mort d’une jeune femme issue d’une petite ville évangélique des États-Unis, Hayden Anhedönia (de son vrai nom) a amassé en chemin un succès inattendu ainsi que des fans très dévoués. Entre des morceaux ayant fait le tour des réseaux sociaux (Quoi? Strangers a percé sur Tik Tok???) et plusieurs tournées intimistes, Cain a su se tailler une place de choix dans le paysage musical actuel (et parmi mes artistes préférés actuellement). À présent, deux ans après cet opus d’exception, elle est de retour avec son nouveau projet, Perverts. Et avec 90 minutes de musique, on peut dire que ça en a valu la peine.
Je préviens tout de suite : ne vous attendez pas à des nouveaux titres à la sauce Crush ou American Teenager, car il n’en est rien. Ici, c’est plutôt la musique ambiante sombre qui prend le relai. La chanson-titre du disque, s’ouvrant sur une reprise du chant religieux Nearer my God to Thee, se poursuit sur un son momentanément interrompu par des notes de drone glaciales et des voix étouffées. Pulldrone en rajoute une couche, par sa durée de 15 minutes et par la répétition d’une simple note au violon, poussée à son paroxysme à un point tel que même l’archet de son ou sa propriétaire s’en voit épuisé. Houseofpsychoticwomn, elle, nous englobe dans une maison hantée (littéralement), entre gémissements et bruitages lugubres. De cette ambiance émane une phrase simple, mais tragique dans son contexte : « I love you. »
Paradoxalement, « I love you, » c’est aussi la thèse principale de Perverts. À l’inverse de la connotation tendre qu’on lui prête, ce « Je t’aime » baigne dans le désespoir et devient symbole de l’empathie envers quelqu’un qui n’a rien à perdre, récité plus par pitié que par véritable amour. Dans d’autres cas, Ethel Cain reconnaît elle-même être si hermétique à l’amour qu’elle le refuse, même quand on le lui offre. « If you love me, keep it to yourself, » nous avertit-elle sur Vacillator sur des tambours lents dignes d’une marche funèbre. Plutôt que l’acceptation de l’amour, elle se repose sur des actes érotiques sans émotion. Sur Onanist, Cain répète vers la fin du morceau sur une toile musicale désolée « It feels good. » À l’inverse du sens intrinsèque de cette phrase, il n’y a ici ni bonheur ni réconfort… que de la tristesse.
De plus, au-delà de paroles fantomatiques, diverses inspirations historiques s’immiscent et viennent appuyer l’ambiance pesante et oppressante de ce disque. On peut noter, entre autres, des références au Simulacres et Simulation de Jean Baudrillard (inspirant les 12 piliers du Simulacre récités dans Pulldrone), à Étienne-Louis Boullée, architecte français (Etienne) ou encore à Gary Plauché, homme ayant assassiné un pédophile s’en étant pris à son fils (Punish, choix de premier simple très audacieux). Le tout tourne donc autour de la souffrance profonde que seul le sexe éphémère peut alléger, même si celui-ci tombe dans la déviance immorale, ce plaisir de la chair s’apparentant à une dépendance malsaine. Finalement, la narratrice se résout à abandonner la recherche de l’amour au profit de la drogue dans le mastodonte de 12 minutes Amber Waves. Cette piste transporte l’auditeur dans un champ de blé désert, seul au monde, accompagné de quelques notes de guitares gothiques et sinistres.
Perverts est un projet qui, par essence, risque d’en laisser plusieurs sur le carreau. Pourtant, il représente la palette artistique époustouflante d’Ethel Cain en plus de lui permettant de baigner dans un style lui permettant de lâcher son esprit artistique, et ce sans restriction. Oui, il est possible que Perverts aliène plusieurs fans, ce qui est parfaitement normal : tout le monde n’est pas sensible au même style de musique. Pour les plus vaillants d’entre nous, Perverts demeure une invitation à l’horreur sous fond de guitares et pianos apocalyptiques ornés de cette voix planante et angélique, si caractéristique à Ethel Cain. Mais cet aspect angélique, est-il propre au paradis où à l’enfer? Après tout, Satan était un ange, lui aussi.