Critiques

Emptyset

Blossoms

  • Thrill Jockey Records
  • 2019
  • 32 minutes
6,5

Le projet Emptyset formé des Londoniens James Ginzburg et Paul Purgas défriche des territoires inconnus de la musique électro depuis bientôt quinze ans, repoussant leurs propres frontières sonores en expérimentant sur un nouveau concept à chaque album. Le duo nous avait offert Borders il y a deux ans, un album cru monté à partir de performances en direct et de réverbération de lieux. Ils sont maintenant de retour! J’emploie ici l’exclamation de bande-annonce cinématographique parce que l’expérience auditive de leur sixième album Blossoms requiert un avertissement. C’est que les deux scientifiques ont créé une interface dont les composantes permettent d’interpréter une quantité phénoménale d’échantillons sonores, à partir desquels le programme tisse des liens (similaire à l’intelligence artificielle) selon leurs propriétés acoustiques propres, de sorte à générer ensuite des événements sonores qui sont finalement passés à travers un filtre/broyeur.

Petal frappe fort dès la première seconde avec un impact lourd suivi d’une ondulation saturée, forme qui passe à un segment plus léger dont la matière sonore semble étirée à un seuil itératif, créant un effet de frottement brillant/étouffé (qui deviendra la texture principale de l’album). Blossom repart de façon plus ponctuée, laissant la réverbération occuper brièvement les silences pour créer le phrasé de la pièce. Le montage fait penser à un convoi industriel qui broie la matière, réduisant celle-ci en fragments bruts rejetés dans le creux de l’oreille. Bloom continue ça sous une forme de signal scintillant multiplié par lui-même, générant des résonances dans les aiguës qui simulent des sifflements de ptérodactyles cachés dans une grotte, genre.

Pollen ouvre au loin en tournant en boucle, reprenant le montage d’impact suivi d’une ondulation saturée. La densité évolue d’une répétition à l’autre pour atteindre sensiblement la même intensité que la première pièce, mais ça ne va pas plus loin musicalement. Blade commence étonnamment doucement comme une trame minimaliste drone qui oscille plus lentement. L’atmosphère est méditative en comparaison aux pièces précédentes et permet d’apprécier (beaucoup) plus l’esthétique sonore de l’album, et de laisser les oreilles prendre une pause. Axil ouvre quant à elle sur un impact en forme de coup de chaîne réverbéré dans un tunnel, ouverture qui passe ensuite à un nouveau mécanisme en trois mouvements s’apparentant à un tambour de sécheuse industrielle.

Filament débute comme un changement de poste de radio, mais devient nettement plus granulé par la suite, renouvelant le relief de la boucle en variant la hauteur du filtre, sans plus. Bulb revient à la trame minimaliste drone, bien plus savoureuse avec ses vagues de radiations cosmiques. On constate que l’esthétique sonore de l’album ressort probablement mieux au ralenti, et élimine en grande partie l’effet de répétition de la séquence. Stem apparaît subitement comme un murmure sortant des profondeurs, le segment évolue comme un monologue codé de robot qui parlerait dans un vocodeur. Clone ouvre de façon presque tonale, mais s’étouffe brièvement pour passer à un vrombissement bien clair et texturé qui reste en suspend jusqu’à une dernière boucle de tension électrique.

Blossoms se termine et mes oreilles me demandent si je suis masochiste. Plus sérieusement, la démarche artistique de l’album est très intéressante, et requiert plusieurs écoutes avant de révéler ses subtilités. C’est malheureusement un défi d’écouter l’album au complet dans une seule séance. Ça prend un moment avant d’apprivoiser l’esthétique sonore de frottement brillant/étouffé placé en premier plan, de passer à travers pour pouvoir apprécier ici et là les marmonnements d’échantillons.