Critiques

Elisapie

Inuktitut

  • Bonsound
  • 2023
  • 43 minutes
8
Le meilleur de lca

Les « albums de reprises » sont des exercices périlleux qui peuvent plomber la crédibilité d’un artiste. Pour un Johnny Cash qui a donné un second souffle à sa carrière avec la série American Recordings — six longs formats habilement supervisés par le réalisateur Rick Rubin —, on retrouve une litanie de créateurs qui ont présenté des oeuvres bâclés qui, bien souvent, n’ont servi qu’à mettre fin à d’interminables ententes avec des maisons de disques.

Au cours de l’année 2021, Elisapie a eu la brillante idée de réinterpréter à sa façon des chansons liées à des personnes ou à des événements de son passé qui ont façonné son parcours de vie. Ainsi est né Inuktitut; un album regroupant des succès populaires qui ont été traduits et interprétés par l’artiste en inuktitut… bien sûr!

En fait, ce long format est un vibrant hommage aux amis, à l’entourage et à la famille d’Elisapie. Ces chansons ont permis à la chanteuse et à sa fratrie de passer à travers des moments hautement difficiles. Réalisé par le compétent Joe Grass, ce cinquième opus en carrière d’Elisapie est une réussite sur toute la ligne.

Dès le départ, avec la relecture sentie de The Unforgiven de Metallica intitulé Insumagijunnaitaungituq, on perçoit aisément la sincérité avec laquelle ces pièces ont été réinterprétées. Mélodiquement parlant, Elisapie demeure somme toute dans les balises des versions originales. Or, musicalement, les chansons sont astucieusement nappées dans des sonorités folk rock parfois apaisantes, mais à d’autres moments étonnamment grinçantes. À cet effet, on salue le travail de Joe Grass, tant à la réalisation qu’à la guitare, qui escorte ces relectures vers un territoire sonore qui sied parfaitement à Elisapie.

Dans les mains d’Elisapie et Joe Grass, I Want to Break Free de Queen (Qimatsilunga) se transforme en un hymne mélancolique et émouvant dédié à son cousin avec qui elle a grandi. L’apport bouleversant des cuivres dans Wish You Were Here (Qaisimalaurittuq) — orchestration composée par le quatuor The Westerlies — est, pour l’auteur de ces lignes, la deuxième meilleure version de cette chanson-phare de Pink Floyd, tout juste après celle de Sparklehorse et Thom Yorke paru en 2010.

On salue également le remake vaguement country rock de Going to California (Californiamut) de Led Zeppelin, le rebrassage complet de Born to Be Alive de Patrick Hernandez (Inuuniaravit) et la conclusive Qimmijuat (Wild Horses) qui, sans arriver à la cheville de la version interprétée par les Flying Burrito Brothers de Gram Parsons, a réussi à nous faire frissonner. Un minuscule bémol au tableau : la mouture trop « respectueuse » de Time After Time (Taimangalimaaq) de Cyndi Lauper… mais votre scribe fait ici la fine bouche.

Pour qu’un album de relectures soit épatant, un artiste doit en faire des versions personnelles quitte à dénaturer l’interprétation initiale de ces chansons. Sans pousser l’audace à ce point, Elisapie et Joe Grass individualisent juste assez ces morceaux pour nous fait ressentir la charge émotive insoupçonnée qu’elles contiennent.

Inuktitut est une œuvre qui sert d’exemple à tous ces artistes qui voudraient tenter l’exercice de « l’album de reprises ». Une véritable leçon d’interprétation.

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