Critiques

Dinos

Kintsugi

  • SPKTAQLR
  • 2024
  • 56 minutes
6

Dinos, c’est un peu comme un paria dans le rap français : on l’aime ou on ne l’aime pas, et dans les deux cas, ces états d’âme sont poussés aux extrêmes. Parfois, il est décrié pour un sentimentalisme assumé ou encore pour ses phrases métaphoriquement chargées (« Je me racine carrée de cent mille pas très bien, » sur son hit Placebo, par exemple). D’autres fois, il est acclamé pour sa musique recherchée et profondément sincère, guidée par un véritable amour pour le hip-hop. Je pense à son album Imany, ainsi qu’au morceau 93 mesures, présent sur l’album Stamina, sorti en 2020. Écoutez-moi ces merveilles : quand il veut, ce mec a du TALENT.

Une nouvelle ère s’ouvre à présent avec ce tout nouvel album, Kintsugi, nommé d’après cette technique artistique japonaise consistant à réparer les fissures des vases avec de l’or. Après le dernier opus de Dinos, Hiver à Paris, en revanche, les attentes étaient élevées : les peines d’amour, l’hiver… tout ça, c’était désormais sa marque de fabrique, mais, jusqu’à quand? Qu’avait-il de plus à nous dire, à nous révéler?

D’abord, comme avec tous ses albums depuis Stamina, Dinos a décidé de cacher toutes les collaborations, laissant l’auditeur avoir la surprise et les découvrir dès la première écoute. Avant la sortie de Kintsugi, le seul artiste invité que nous connaissions était Zed, ex-membre du groupe mythique de trap 13 Block, dont son apparition nous avait été révélée sur le premier simple, l’époustouflant Stacks. Comment pouvait-on mieux démarrer un album? Avec des refrains entêtants, une énergie débordante et un Zed TRÈS en forme, que demander de mieux? Pourtant, bien que Kintsugi démarre sur les chapeaux de roue, force est de constater que Dinos est résolument fidèle à lui-même : il est triste, il a une vie amoureuse difficile, et il tente d’aller mieux par la thérapie de la musique. Pourtant, on sent une tentative de pousser la chansonnette plus que jamais. Sur des trames instrumentales contemplatives rythmées par des voix féminines venant offrir main-forte à l’interprète (peut-être à l’image des femmes que nous retrouvons sur la pochette?), Dinos se permet le chant et la mélancolie, sans prétention et sans arrogance : il se laisse mener par sa passion avant tout. Plus loin, en revanche, Dinos retombe dans les travers de la facilité à la Hiver à Paris sur des titres langoureux comme Gaùcho et Miss Liliy’s qui, malgré des apparitions de Tiakola et Hamza, peinent à dégager de véritables émotions romantiques, de même pour des morceaux simples à la guitare comme Signe de feu ou Mercure Retrograde. En revanche, je noterai l’ambiance lounge sur Girls Don’t Cry qui fait agréablement mouche, bonifiée par la touche délicate de RIMON, artiste érythréenne basée à Amsterdam. Cette sonorité est maintenue sur Vital, mais cette piste est malheureusement freinée par des passages lyriques moins efficaces.

Ce qui m’amène au prochain point : autant l’écriture de Dinos peut être acérée, piquante et allumée (la p’tite référence à Damso sur D Block Afrique m’a fait sourire), autant celle-ci peut facilement verser dans le sentimentalisme plastique ou encore le trop littéral (le passage sur sa condition de « prisonnier » sur Tony Soprano), rendant certaines paroles inégales et inadéquates par rapport au propos solennel voulant se dégager de certains morceaux. Néanmoins, Kintsugi sait rapidement se remettre sur pied, et ce, de par la force des artistes en featurings. Certes, certains se plaindront peut-être de la surabondance d’invités, mais je salue l’esprit rassembleur de Dinos et sa capacité à unir différents acteurs du rap français le temps d’un album, allant de l’ancienne école (comme le TRÈS GRAND Lino sur Le jour d’après) à la relève prometteuse (comme Jolagreen23 et La Mano 1.9 sur D Block Afrique).

Ainsi, cette tentative de réparation du cœur se fait ressentir sur Kintsugi, mais vers la fin de l’album, la conclusion demeure en suspens. « Faut que tu parles à quelqu’un », nous confie-t-il à la troisième personne sur Dr. Melfi, dernière piste. Pourtant, en est-il véritablement ainsi? A-t-il trouvé le chemin de la quiétude? Est-ce lui, en réalité, le vase devant être réparé par la méthode du kintsugi? Ce sont des questions demeurées sans réponse, mais ces questions font partie de l’odyssée de Dinos, celle à laquelle il invite à nous identifier. Et la quête de Kintsugi, c’est un peu la nôtre aussi, aussi imparfaite soit-elle.

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