Critiques

Depeche Mode

Memento Mori

  • Columbia Records / Mute Records
  • 2023
  • 51 minutes
8,5
Le meilleur de lca

Depeche Mode nous a habitué à anticiper un nouvel album tous les quatre ans, et avec Spirit (2017) comme dernier cri de ralliement plus ou moins convaincant, les attentes pour une suite digne de souligner le quarantième anniversaire du groupe étaient plus grande. La vie étant ce qu’elle est, la pandémie a repoussé le retour en studio, et celui-ci a carrément été remis en question suite au décès subit d’Andrew Fletcher, un des membres fondateurs, en mai 2022. Malgré la pandémie et la tragédie, le duo a décidé d’honorer la période d’enregistrement prévue à l’été.

Gore avait profité du confinement pour composer un paquet de maquettes, et collaborer avec Richard Butler (The Psychedelic Furs) sur quelques textes. Gahan a avoué n’avoir absolument rien fait du tout à part recharger ses piles et contempler le vide. Les deux musiciens de tournée Peter Gordeno et Christian Eigner ainsi que la productrice et ingénieure sonore Marta Salogni ont contribué sur certaines pièces, tandis que le producteur multi-talentueux James Ford était de retour derrière la console.

Le duo transformé en septuor en studio a mené à Memento Mori (souviens-toi que tu dois mourir), quinzième album qui contemple la mort et le deuil, mais également la résilience et la reconnaissance de pouvoir apprécier le moment présent. La belle et grande surprise est que Gore et Gahan sont comme deux vieux amis qui se sont retrouvés musicalement, et qui ont réussi à s’élever au-dessus de l’égo de DM pour s’accorder (vocalement) et faire un album qui est sur la même longueur d’onde du début à la fin.

L’album ouvre sur une séquence rythmique industrielle qui mène à une trame sombre nommée My Cosmos Is Mine. La voix réverbérée de Gahan plane au-dessus du mécanisme, contemplative, pendant que le thème dystopique est accentué par une « abrasivité » échantillonnée. Wagging Tongue continue dans la ballade synthétique, mais beaucoup plus légère avec son motif synthpop et son design kosmische. Gahan et Gore complètent parfaitement le thème à la voix, accentuant un « watch another angel die » durant le refrain.

Ghosts Again suit à la guitare électrique, ligne de basse monophonique et boîte à rythmes en forme d’hymne électro pop, comme une version d’Enjoy The Silence mélangée avec Precious. La vidéo (réalisée par Anton Corbijn) montre le duo en train de jouer aux échecs sur le toit d’un édifice au centre-ville, une référence « urbaine » à la partie d’échec dans The Seventh Seal (1957). Don’t Say You Love Me revient à la forme ballade sur laquelle Gahan se démarque vocalement comme un chanteur de charme, cordes et arrangements en bonus. On imagine DM performer dans un cabaret durant une scène de film noir tellement l’atmosphère cinématographique est réussie.

My Favourite Stranger prend une direction post-punk / goth rock très satisfaisante, avec une superbe strate dissonante de guitare électrique qui contraste avec le motif développé en boucle. La « ballade de Martin » se nomme Soul With Me, et donne l’impression que le DJ s’est trompé de vinyle tellement ça contraste avec l’atmosphère établie jusqu’ici. Le refrain est intéressant, rassembleur, mais les couplets sont un peu pénibles personnellement.

Caroline’s Monkey rééquilibre ça avec une trame vaporeuse sur laquelle Gahan s’amuse à étirer les syllabes, complété par un refrain philosophique techno pop adorable. Before We Drown s’élève à un niveau de vibration inhabituelle, le tempo est ralenti et laisse les quatre accords du couplet nous bercer jusqu’au refrain. La résolution très réverbérée provoque une sorte de frisson universel, comme une résignation existentielle.

People Are Good reste au même niveau d’excellence avec sa séquence rythmique irrésistible et son motif mélodique à la Computer Love (Kraftwerk, 1981). Gahan suit le groove pendant que Gore complète les harmonies vocales durant le refrain. La ballade darkwave Always You ralentit à nouveau le tempo et alourdit l’atmosphère avec son thème mélancolique. Les sonorités kosmische apportent une teinte sci-fi froide qui vient contraster avec la chaleur de la performance vocale.

Never Let Me Go reprend l’excellente combinaison post-punk / goth rock sur un motif plongeant. La séquence rythmique et la ligne de basse itérative créer un train sur lequel la guitare et la voix s’exclament en duo. Speak To Me conclut sur une ballade aux accords vaporeux 80s, avec Gahan priant pour une meilleure communication. Le thème se conclut avec une sublime montée aux cordes, qui s’évapore au-dessus d’une pulsation saturée aux percussions.

Memento Mori est tellement le meilleur album de DM depuis…on s’en fout, c’est le moment présent qui compte, et présentement ils sont au sommet de leur forme pour deux gars dans la soixantaine. Le moule des vingt-cinq dernières années a éclaté pour révéler une version mature du noyau créatif, qui focalise sur les textes de Gore et la voix de Gahan qui chantent ensemble sur presque toutes les pièces. Le thème sombre et rassembleur résonne bien au-dessus des derniers albums, certes. À la hauteur des attentes, digne de quarante ans de carrière, tel un monument situé dans un lieu de recueillement abstrait. À la mémoire d’Andy.

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