Critiques

Deerhoof

Miracle-Level

  • Joyful Noise Recordings
  • 2023
  • 36 minutes
7,5

Presque aussi prolifique que les infatigables King Gizzard and the Lizard Wizard et Guided By Voices, Deerhoof éprouve de la difficulté à passer une année entière sans enregistrer de nouvelles chansons, et ce, depuis 1994. Pour son dix-neuvième album studio nommé Miracle-Level, le groupe offre deux nouveautés : une musique produite, enregistrée et mixée uniquement en studio et des paroles entièrement en japonais. Cette surprise ouvre une nouvelle porte encore plus mystérieuse vers l’univers déjà excentrique de Deerhoof

Comme à son habitude, Deerhoof sert une pop rock à la fois agitée et expérimentale. Le groupe dispose d’une source d’énergie inépuisable qui se propage comme un virus dès les deux premières chansons délurées Sit Down, Let Me Tell You a Story. et My Lovely Cat!. En plus de leur refrain vaporeux, elles retiennent surtout l’attention pour leur rythme frénétique, et la guitare aussi énervée que la batterie. Malheureusement, le point culminant de l’album se trouve au tout début : une bonne idée pour retenir l’attention, mais une moins bonne idée pour encourager les écoutes répétées.

Cette surdose d’entrain pourrait facilement lever le cœur, mais heureusement le groupe prend quelques sédatifs entre les longs moments survoltés enrichis de super vitamines. En effet, l’album contient ses quelques pièces tranquilles comme la jolie The Poignant Melody et la plutôt bossa nova The Little Maker. Bien que toutes les paroles soient en japonais, la langue maternelle de la bassiste et chanteuse Satomi Matsuzaki, cette dernière ne prête pas sa voix à toutes les chansons. C’est plutôt au tour du batteur Greg Saunier de s’aventurer dans une langue secondaire durant entre autres la délicate et sensible ballade finale Wedding, March, Flower

Malgré leur apparence candide, les chansons de Deerhoof sont généralement complexes et celles sur Miracle-Level n’y font pas exception. Si les mélodies déconstruites peuvent être difficiles à apprivoiser, ce petit défi cérébral rend l’écoute encore plus excitante lorsque le déclic se produit. La formation prend quelques virages inattendus, notamment sur la chanson inquiétante Phase-Out All Remaining Non-Miracles by 2028 qui mélange les genres ou sur la pièce instrumentale Jet-Black Double-Shield où la musique est aussi déconcertante que le titre. Même si Deerhoof dégage un caractère aventurier, il ne s’est toutefois pas donné comme mission sur Miracle-Level de repousser ses limites créatives ou les oreilles moins averties. 

Comme un rush de sucre, le court album Miracle-Level excite brièvement le cerveau. Sa bonne humeur s’avère contagieuse et sa nature éclatée prend tout son sens grâce à de la patience et à de la curiosité. Le groupe réussit à franchir la barrière de la langue au moyen de sa pop aussi charmante que chaotique tout en maintenant un bon équilibre entre délicatesse et turbulence. À sa discographie impressionnante, voire intimidante, Deerhoof fait de Miracle-Level un ajout pertinent, sans en être un incontournable. Cependant, en étant aussi productif avec ses dix-neuf albums, est-ce que la formation dilue sa créativité? Deerhoof ne réinvente peut-être pas vraiment sa formule déjà efficace, mais sa magie opère sur Miracle-Level. Le groupe vieillit, mais ne ramollit pas.