
Damso
BĒYĀH
- Trente-quatre centimes
- 2025
- 47 minutes
Il y a trois ans, sur son compte Instagram, le rappeur belge Damso avait annoncé cette date de sortie pour son prochain et, présumément, son dernier album. Il faut dire qu’après son dernier gros projet, QALF Infinity, la musique de Damso avait pris un tournant décisif, que ce soit pour lui-même ou pour le rap français, et il allait le prouver à nouveau. « Les gars, taffez sur vos albums, parce que je pense que je vais niquer le game », nous disait-il tout sourire sur une story Instagram il y a maintenant un an. Auteur d’autres albums marquants, comme Batterie faible et Ipséité (mon préféré), la barre était donc très haute.
Cependant, il faut dire que ces dernières années, Damso s’est empêtré dans des tendances philosophiques pouvant laisser en dehors les auditeurs rap, ceux-ci lui reprochant une trop grande prétention et une régression dans la qualité de sa musique. Avec ses révélations comme quoi il entamait des jeûnes de paroles (dévoilé sur le plateau de Quotidien), on pouvait espérer un album au moins fidèle à la vision artistique de son auteur, empreint de profondeur et de sensibilité. Au final, on en ressort un peu déçu, car BĒYĀH s’avère être l’album le plus banal de Damso.
Pourtant, l’album commençait bien. Le morceau Impardonnable, par exemple, prend une structure classique de morceau de rap français, à l’aide d’une instrumentale qui aurait pu aller comme un gant à Werenoi (paix à son âme). C’est simple, mais étonnamment, c’est un Damso que j’apprécie en 2025, à l’instar d’un morceau comme 2 DIAMANTS. Il réécrit les codes musicaux préexistants en y ajoutant une aisance propre à lui. Le morceau d’après, JCVDEMS, maîtrise également très bien le domaine du chant, proposant un refrain planant avec une pointe de nostalgie. Encore une fois, la voix de Damso contribue grandement à ce sentiment : douce et enveloppante, on a l’impression de retrouver un vieil ami qui a réussi dans la vie et qui nous raconte tout, le regard soulagé.
Sur Love Is Blind, on commence à tomber dans des tournures de phrase pour le moins… familières. « J’ai craché dans ses eyes, parce que love is blind », dit-il. D’accord… mais j’ai l’impression d’avoir déjà entendu cette phrase 15 fois de sa part. C’est là qu’on se rend compte d’une première chose. L’album se veut comme une synthèse de la carrière de Damso, mais finit pourtant par se reposer sur ses acquis. Wolof sonne très convenu au point de tomber dans l’ennui. Quant à Police, j’ai l’impression d’entendre une pâle copie de son précédent hit 911. Quand j’écoute du Damso, j’ai envie d’écouter de la musique qui dépasse les limites, pas des ébauches de morceaux. Au niveau des paroles, c’est encore plus flagrant : on a l’impression qu’il a à peine progressé depuis les fulgurances lyriques de Lithopédion. Même l’ego trip, une des forces de l’artiste, ne semble être exploitée qu’à moitié ici.
Ce qui cloche aussi, ce sont les prémisses du concept de BĒYĀH. L’album nous a été vendu comme un album qui allait enterrer la concurrence, mais au final, il n’atteint pas la hauteur de ses prétentions. T’es mon DEL ou encore MAMIYAH, au-delà de contenir des productions assez génériques, n’offrent aucune étincelle pouvant distinguer ces morceaux comme des propositions uniques. Magic, ce fameux morceau en collaboration avec de l’intelligence artificielle, me semble tout bonnement inutile. Qu’est-ce qui justifie l’utilisation de l’IA ici? Qu’y a-t-il de réellement inventif dans ce morceau? Plus tard, Damso souhaite soudainement retourner à l’ambiance brute de Batterie faible, avec Frère et surtout VIE OLENCE. La tentative est appréciée, mais on s’en rend compte bien vite : ce retour au sale ne sonne pas aussi authentique qu’auparavant. Il y a quand même quelques jolis passages. L’instru de Fibonacci, par exemple, est apaisante et me rappelle quelque part les sonorités qu’on retrouve dans les compilations YouTube de « Lo-Fi » que les plus studieux d’entre nous ont pu entendre. Qui m’a demandé, un des morceaux phares de l’album, respire une joie de vivre rafraichissante et nous livre même une charmante section adjacente au kompa.
Mais au final, qu’est-ce que raconte BĒYĀH? Entre quelques morceaux tentant de nous faire rappeler la vieille époque, un morceau chanté presque exclusivement en espagnol (YA TENGO SENTIMIENTOS) et un morceau inspiré de la funk brésilienne (Pa Pa Paw), il est difficile de créer une thèse officielle. S’il s’avère vraiment que cela est le dernier album de Damso, je m’en vois plutôt attristée. L’artiste belge nous a quand même fait rêver pendant plusieurs années avec son art, alors nous laisser avec comme potentiel dernier morceau en carrière le plus qu’éphémère KAKI, c’est un peu comme partir sans dire au revoir.