Critiques

clipping.

There Existed an Addiction to Blood

  • Sub Pop Records
  • 2019
  • 69 minutes
6,5

Le trio de rap expérimental clipping. poursuit avec leur dernier opus, There Existed an Addiction to Blood, ce qu’il a entrepris dans Splendor & Misery, soit une approche conceptuelle à l’album où la production a pour prémisse la grande forme. À quelques exceptions près; cette fois-ci, tout l’album est construit autour d’histoires démesurément sanglantes. Le groupe continue de perfectionner le fameux amalgame de rap, de noise, de musique concrète, de musique industrielle et de horrorcore (pour ne nommer que ces influences-là) qui les a établis — quelque peu naïvement, peut-être — dès les premières secondes de midcity, leur premier album.

L’aspect cinématographique de l’album conceptuel donne lieu, ici comme dans Splendor & Misery, à une utilisation plus mûre et moins naïve des possibilités que profère le vaste éventail de sonorités que les deux réalisateurs se permettent d’utiliser. Quelques moments de l’album relèvent littéralement du domaine du cinéma pour l’oreille, comme le début de Run for Your Life, où Daveed rap avec pour seul beat le passage momentané de quelques voitures passantes qui font miroiter un certain drop. On pourrait en dire autant de Piano Burning, la dernière piste de l’album… Bien qu’elle soit plutôt mince qu’autre chose, à mon avis (enregistrement assez pauvre d’un geste provocateur, qui ajoute certainement à l’imaginaire dystopique de l’album, mais sans plus).

Un des aspects qui coupe encore l’herbe sous le pied au trio, à mon avis, est le flow… presque monotone de Daveed. Certes, sa rythmique rigoureuse permet toutes les expériences limites entre rythme et arythmie bruiteuse que les réalisateurs se plaisent à construire autour de sa poésie qui semble venir autant du conte que du rap… Mais elle donne un caractère aplati à la musique, qui semble tenter en vain de s’en extirper. Et ce surtout dans la mesure du caractère angoissant de la musique et des horreurs qui y sont suggérées et racontées! Un bon exemple est l’excentrique Story 7, série d’histoires se prolongeant dans toute l’oeuvre du groupe, qui joue sur une polyrythmie assez complexe (pour du rap, ça va sans dire) sur une musique non loin du jeu vidéo 8-bit… mais la rythmique de la voix est forcée sur les paroles, comme si on lui faisait lire une partition en lecture à vue.

En fin de compte, bien que ce soit les paroles qui transmettent leur univers dystopique, ici, jusqu’à cannibale, l’interprétation du rappeur ne fait que nous distancier de cet univers angoissant. La deuxième piste, Nothing is Safe, est la seule qui semble raccorder la performance vocale et la production… Et ça donne une piste simplette, monotone et étirée — de loin la moins intéressante de l’album. Comme sur plusieurs pistes, bien que ce ne soit pas systématiquement problématique, la quantité de paroles est déconcertante, même quasi disproportionnée.

Néanmoins, sur plusieurs aspects, l’album est inventif, original, et rafraîchissant tant il est multiple, tant il réussit à s’affranchir des codes qui voudraient s’y rattacher. Au point de vue de la forme, à la fois des pistes en elles-mêmes et de l’album en entier, on est devant une œuvre réfléchie et profonde, du moins beaucoup plus qu’avec CLPPNG. Le fait d’avoir été si abrasifs, si provocateurs, dans celui-là et dans midcity, permet maintenant aux MC’s de ne faire apparaître leur éternel noise virulent qu’à la fin de la cinquième piste, c’est-à-dire de réaliser l’album. Avec un peu plus de cohésion entre paroles, interprétation et réalisation, ainsi qu’en assumant encore davantage la richesse de leur projet excentrique, clipping. pourrait bien, un jour, nous pondre un chef-d’oeuvre de rap alternatif.

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