Critiques

Clark

Sus Dog

  • Throttle Records
  • 2023
  • 45 minutes
8,5
Le meilleur de lca

L’incontournable compositeur britannique Clark (Christopher Stephen Clark) fabrique de l’excellente musique électronique depuis plus de vingt ans, et après avoir été publié sur Warp Records et Deutsch Grammophon, l’artiste a démarré sa propre étiquette en 2019, Throttle Records. Cette liberté lui a permis de proposer Kiri Variations (2019), trame sonore de série télé métamorphosée en album studio, et la compilation 05-10 (2022) qui rassemble des pièces développées durant la trilogie Body Riddle / Turning Dragon / Totems Flare.

Sus Dog est donc le premier album studio à profiter d’une direction artistique et d’une production totalement libre, dixième sans les trames et compilations, seizième avec celles-ci. Pourquoi ne pas demander à Thom Yorke de produire l’album, et de coacher Clark en chant falsetto pour aller complètement ailleurs, au point de ne pas être certain de reconnaître la marque maison chérie ? Heureusement pour l’humanité, il ne suffit que de quelques écoutes pour réaliser que Clark a atteint un autre niveau d’excellence dans sa capacité de se renouveler, dorénavant avec des textes et chants de tête.

Alyosha ouvre sur la voix falsetto de Clark qui répète « I want to believe » dans la salle de bain, un peu comme une séquence vocale qui fait évoluer le texte de façon circulaire, au lieu de linéaire. Dans ce contexte, les séquences vocales se succèdent autour d’un thème dirigé par la voix, secondé par une trame musicale exceptionnelle qui démarre aux percussions et culmine en orchestre électronique itératif. Le simple Town Crank simule un départ acoustique interrompu par une séquence monophonique enthousiaste, par-dessus laquelle la voix souffle un filament mélodique délicat. Le thème se densifie entre les deux, tel un grondement harmonique qui explose en un irrésistible mouvement techno saturé.

Sus Dog change complètement d’atmosphère pour du trip hop avec duo voix et piano, moment apaisant et chaleureux qui réverbère comme du vent dans une vallée. La voix d’Anika Henderson prend place à mi-chemin, et nous transporte vers le sommet de la montagne avec ses ailes vocales, tel un vol plané vers le haut. Clutch Pearlers revient à la combinaison percussions et voix avec tout autant de dynamisme, jouant avec la densité mélodique et les masses harmoniques, tantôt kosmische tantôt idiophones.

Over Empty Streets se déroule au piano sur un motif descendant, articulé par l’arrivée du violoncelle et de la batterie pour former un interlude néo-classique. Wedding reprend la qualité contemplative de la pièce précédente à partir d’une séquence scintillante cuivrée typiquement « clarkienne ». Le thème redouble en intensité dans les basses, et fait vibrer toute la pièce jusqu’à son évaporation spontanée.

Forest coupe un peu la dynamique, comme une pièce « outtake » dont la source est absente, et de laquelle on n’entend que la réverbération de celle-ci. Clark finit par apparaître de nulle part pour clarifier que c’est un « walk in the forest ». Dolgoch Tape reprend le rythme en main sur une séquence aux oscillateurs scintillants, laissant Clark dédoubler sa voix sur un motif qui rend de bonne humeur, et fait penser étrangement à All Night Long (Lionel Ritchie).

Bully ralentit le tempo au niveau de ballade sombre, chanté dans les graves en duo avec Rakhi Singh, duo placé à l’avant d’une palette sonore à la Vangelis, avec une intention vocale qui ajoute une dimension spatiale épique, presque à la Space Oddity. Dismissive se renouvelle en boucle à partir d’une séquence électronique autour de laquelle se ponctuent les contrepoints et les contretemps. Clark chante sans falsetto avec Singh, et démontre que ça fonctionne aussi bien sinon mieux dans ce registre.

Medicine accueille le grand Thom Yorke à la voix, sur une ballade électro jazz parfaitement adaptée à son légendaire dramatisme vocal. C’est là qu’on réalise à quel point la collaboration entre les deux artistes est intuitive et naturelle, comme s’ils vibraient sur la même longueur d’onde malgré leurs routes complètement différentes. Ladder conclut tout doucement sur une comptine néo-classique mélancolique qui se résout comme une respiration harmonique réverbérée.

Sus Dog est un album surprenant, d’abord parce qu’il ne se révèle pas dès la première écoute, ensuite parce qu’il réussit à dépasser les attentes entretenues par la discographie de l’artiste. L’impression d’avoir pris juste assez de risques pour déséquilibrer agréablement le lien réconfortant qui lie les albums l’un à l’autre place celui-ci bien haut en termes de qualité de direction artistique et de production. L’album marque un nouveau point de repère à partir duquel tout est dorénavant possible pour Clark, comme collaborer avec Thom Yorke.

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