Car Seat Headrest
Making a Door Less Open
- Matador
- 2020
- 47 minutes
Quand un groupe ou un artiste rock emprunte un virage synthétique, il faut habituellement suspecter une envie d’agrandir son auditoire. On n’a rien contre cette démarche tant que le critère d’évaluation fondamental demeure la créativité plutôt que la commercialisation de l’œuvre.
Malgré tout ce qu’on peut lire et entendre au sujet de « la mort du rock », la formation états-unienne Car Seat Headrest est l’un des groupes parmi les plus pertinents de ce genre musical. En plus d’être mené par un « storyteller » doué (Will Toledo), le groupe qui l’accompagne maîtrise à la perfection les codes du rock. Avant 2015, Toledo enregistrait ses créations dans l’automobile familiale, en mode lo-fi, jusqu’à la signature d’une entente avec la maison de disques Matador.
C’est en 2016, avec le sublime Teens of Denial, qu’on a assisté à l’éclosion de Car Seat Headrest. Un disque qui rassemble des influences sonores aussi disparates que Weezer, Pixies, Franz Ferdinand, Dinosaur Jr, Bruce Springsteen, pour ne nommer que ceux-là. En 2018, insatisfaits du son d’ensemble d’un disque paru en 2011, Toledo et ses acolytes nous ont proposé une mouture remaniée, et totalement réussie, de Twin Fantasy (Face to Face).
Entre ces deux parutions, Toledo, accompagné d’Andrew Katz (batterie), a expérimenté de nouvelles sonorités au sein de 1 Trait Danger; un projet électro-pop aux accents hip-hop et un brin humoristique. Toute cette démarche a mené à la création de Making a Door Less Open; nouvel album de Car Seat Headrest qui paraît aujourd’hui même.
Dès la première chanson intitulée Weightlifters, les habitués de Car Seat Headrest seront désarçonnés. Le son strident d’un synthétiseur et l’ascension graduelle d’une batterie électronique, combinés à la voix aisément identifiable de Toledo, donnent le ton à cette nouvelle incarnation du groupe.
Tout au long de l’album, l’auditeur sera confronté à une habile mixture de new wave, de tonalités empruntées à l’EDM… et de rock. Même s’ils sont positionnés à l’arrière-plan dans le mix, les guitares sont subtilement présentes et l’approche rythmique, excessivement pulsative, confère une force de frappe différente des précédents efforts, mais qui est tout aussi satisfaisante.
Malgré le penchant plus enjoué des chansons de ce nouvel album, les textes de Toledo sont particulièrement mordants. L’organisation inégalitaire de la société, la solitude, l’amour et la maladie sont les thèmes abordés par l’auteur. Toledo est d’une virulence jouissive dans Hollywood; le songwriter déverse son fiel sur la superficialité qui habite les bonzes de l’industrie cinématographique américaine :
« I’m sick of violence
Sick of money
Sick of drinking
Sick of drugs
Sick of fucking
Sick of staring at the ads on the bus
Hollywood makes me wanna puke
Hollywood makes me want to »
–Hollywood
C’est la discordance entre la jovialité musicale de certaines chansons (Deadlines (Hostile), Martin, Can’t Cool Me Down) et les mots amers, parfois même colériques, de Toledo qui font de ce nouvel album, une réussite. Grâce à l’implication de tous les instants d’Andrew Katz (et à l’ouverture d’esprit de Toledo), ce Making a Door Less Open est le fruit d’un véritable travail d’équipe et non pas l’œuvre d’un seul homme. Et ça s’entend !
Parmi les autres chansons remarquables, on note l’émouvante There Must Be More Than Blood. L’intermède folk titrée What’s With You Lately, interprétée par le guitariste de la formation Ethan Ives, est bouleversante et la conclusive Famous pousse encore plus loin la chevauchée synthétique de Car Seat Headrest (voix trafiquées, boîte à rythmes, abondance de synthés, etc.).
Making a Door Less Open est le résultat de l’étroite collaboration entre un compositeur, doté d’une intelligence et d’une créativité supérieure à la moyenne, et d’accompagnateurs compétents, dédiés à la tâche. Peu de groupes rock peuvent se vanter d’avoir réussi un changement de cap, un peu plus consensuel, sans y perdre un peu de crédibilité.
Car Seat Headrest est une exception.