Buke And Gase
Scholars
- Brassland
- 2019
- 38 minutes
Il y a de ces musiques autant épuisantes qu’inspirantes. Le duo new-yorkais Buke and Gase fait certes partie de cette frange marginale de la musique indie pour qui le goût de l’expérimentation l’emporte sur le désir de jouir d’un succès de masse. Six ans après l’excellent General Dome, Arone Dyer et Aron Sanchez remettent ça avec Scholars, où post-punk, prog et pop baroque font encore bon ménage.
Buke and Gase (autrefois épelé Buke and Gass) ont souvent fait parler d’eux pour la singularité de leur proposition. À la fois musiciens et inventeurs, les deux comparses ont littéralement créé leurs instruments de leurs propres mains : un ukulélé baryton pour Dyer (le buke) et une guitare composée à la fois de cordes de basse et de guitare (la gase) pour Sanchez. À cela s’ajoutent divers instruments de percussions actionnés par les pieds et des pédales d’effets faites maison. Le résultat sonore est forcément un peu éclectique, et le duo a su se forger un style quasiment inimitable.
Dans sa critique de General Dome en 2013, le collègue Mathieu Robitaille s’étonnait que le succès de Buke and Gase demeure encore marginal, malgré la voix superbe de Dyer et l’inventivité des mélodies. On aurait pu croire également que le fait d’avoir été recruté par la maison de disques des frères Dessner (The National) allait assurer au duo une certaine visibilité médiatique, mais non. La raison en est peut-être que le groupe peine à s’affranchir de son étiquette de simple « curiosité », alors que sa musique mériterait pourtant d’être écoutée pour ses qualités, aussi inclassable soit-elle, et non pas seulement comme un phénomène un peu bizarroïde.
Scholars est-il le disque qui permettra à Buke and Gase de dépasser le stade de la confidentialité? Certains éléments peuvent le laisser penser. Sans avoir perdu de sa prédilection pour les constructions complexes où les rythmiques binaires et ternaires s’entrechoquent parfois, le duo offre ici quelques chansons un peu plus accessibles malgré leur hyperactivité, et qui lui vaudront sans doute certaines comparaisons avec le travail de St. Vincent. C’est notamment le cas de Derby, extrait lancé en octobre dernier, où la voix puissante de Dyer, sorte d’hybride incongru entre Victoria Legrand (Beach House) et Gwen Stefani, surfe sur une pulsation lourde et inquiétante. On pense aussi à Grips ou Flock, qui flirtent avec le R&B et même le hip-hop, mais dans une esthétique qui n’a bien sûr rien à voir avec les canons du genre.
Sur le plan instrumental, le jeu de Dessner (non seulement sa « gase » mais aussi la multitude d’effets qu’il lui applique) continue de s’abreuver à diverses traditions de musiques hors normes. Sa façon d’attaquer les notes graves dans l’intro de la pièce-titre rappelle le travail de This Heat, un des groupes les plus inventifs de la vague post-punk de la fin des années 70 et du début des années 80. Les amateurs du groupe de rock progressif King Crimson (la période post-1970) reconnaîtront aussi certaines envolées dignes d’un Adrian Belew sur un titre comme Pink Boots.
Si Scholars s’avère un album tout à fait réussi qui plaira aux amateurs de musiques aventureuses de toutes sortes (le duo a déjà dit qu’il faisait du punk de chambre!), il n’en demeure pas moins que Buke and Gase peut parfois épuiser nos oreilles. Entre les manipulations appliquées à la voix (oui, il y a de l’auto-tune) et le vrombissement des percussions, le groupe ne nous laisse pas beaucoup de temps pour reprendre notre souffle. Mais on ne peut pas lui reprocher de faire dans la facilité.