Critiques

Bleu Nuit

Le jardin des mémoires

  • Michel Records
  • 2019
  • 31 minutes
7,5

L’année 2019 aura finalement constitué une très bonne cuvée pour le rock québécois, avec la sortie d’albums remarqués de la part de Corridor, Barrdo et Chocolat, pour ne nommer que ceux-là. Mais il ne faudrait pas oublier d’ajouter à cette liste le nom de Bleu Nuit, qui a lancé en avril un premier album passé un peu sous le radar, mais qui mérite amplement qu’on s’y attarde en cette période de rattrapage.

Intitulé Le jardin des mémoires, ce premier opus du trio montréalais propose un post-punk sombre inspiré de groupes comme Joy Division et Pere Ubu, auquel s’ajoute des influences de shoegaze et de new wave. La majorité des titres sont signés Yan Skene, principal auteur-compositeur de la formation, qui est entouré du guitariste-claviériste Nicolas Gaudreault et du batteur Laurent Saint-Pierre. La réalisation est assurée de main de maître par Julien Mineau (Malajube, Fontarabie), qui a su canaliser l’énergie du groupe pour en tirer quelque chose d’à la fois dense et étrange.

L’album se démarque d’ailleurs par sa cohésion et sa cohérence, malgré des titres aux sonorités aussi diverses que Le même discours, un peu prog sur les bords avec ses cassures de tempo (mais avec une énergie résolument punk), que La sauvagerie, qui flirte avec l’électro industriel et qui bénéficie de la voix de Julien Gasc, ex-membre de Stereolab. Entre les deux, Bleu Nuit alterne entre des titres davantage pop (Trou noir, Concentration) et d’autres, plus expérimentaux, avec des synthés inquiétants et des sonorités abrasives (Le ruban magnétique, Féminin masculin).

Des influences assez évidentes se font évidemment sentir, mais sans que cela vienne teindre l’identité du groupe. Outre Joy Division, on pense souvent à Preoccupations, une autre formation qui a su renouveler le langage post-punk pour tenter de l’adapter à la réalité musicale des années 2010. Le côté new wave s’exprime à travers des clins d’œil à The Cure, par exemple, parfois même avec un certain côté dansant. Bien sûr, quiconque maintenant s’aventure en territoire post-punk au Québec doit se mesurer à Corridor, et c’est malheureusement ce qui atténue un peu l’impact de la proposition de Bleu Nuit, en raison de cette impression de déjà-entendu qui en émane. Mais pour être honnête, ce sentiment s’estompe au fil de quelques écoutes, et ce serait injuste de lever le nez sur Le jardin des mémoires seulement pour cette raison.

Je ne sais pas si c’est en raison de l’influence de Mineau (un musicien expérimenté, qui en a vu d’autres), mais ce premier album de Bleu Nuit se démarque aussi par sa retenue. On n’a pas le sentiment que le trio a cherché à faire passer toutes ses idées, ce qui aurait pu donner quelque chose de touffu. C’est vrai aussi pour les paroles, juste assez abstraites pour ne pas se laisser réduire à un sens précis. Les voix sont en parfaite adéquation avec cette économie de moyens et se retrouvent en retrait dans le mix, elles sont souvent chuchotées (l’influence de Mineau encore peut-être).

Même si le disque est sorti depuis plusieurs mois, le contexte est bon pour parler de Bleu Nuit, qui vient tout juste de se mériter le prix de l’album post-punk ou post-rock de l’année au Gala alternatif de la musique indépendante du Québec (GAMIQ). Deux ans après avoir lancé un EP prometteur, la formation prouve qu’elle n’avait rien d’un feu de paille avec Le jardin des mémoires qui, bien qu’un peu court, remplit toutes les promesses qu’on attendait de ce premier album qui s’écoute en boucle (littéralement, puisque la dernière pièce s’achève comme la première débute…)

À ne pas écouter en mode aléatoire, au risque de briser la magie.

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