Beirut
Gallipoli
- 4AD
- 2019
- 45 minutes
Autrefois reconnue pour ses envolées lyriques, sur fond de musique des Balkans, la formation indie-folk Beirut avait mystérieusement opté pour une approche beaucoup plus simpliste sur son quatrième album No No No, paru il y a quatre ans. De retour avec un cinquième opus, Gallipoli, la troupe de Zach Condon retrouve un peu de sa superbe, mais pas assez pour prétendre au titre de retour de l’année.
Enregistré à la suite d’une période particulièrement difficile dans la vie personnelle de Condon (rupture amoureuse, dépression, hospitalisation), No No No constituait un premier écueil dans la discographie du groupe, après les magnifiques Gulag Orkestar (2006) et The Flying Club Cup (2007), de même que le très respectable The Rip Tide (2011). Désireux peut-être de redémarrer la machine sur de nouvelles bases, Beirut avait alors opté pour une instrumentation beaucoup plus convenue, centrée autour du piano plutôt que du ukulélé, avec les cuivres relégués à un rôle de figurant.
Sur Gallipoli (du nom d’une ville médiévale italienne), le groupe américain revient à un son plus proche de ses origines, mais sans parvenir à ranimer la flamme et la ferveur qui caractérisaient ses premiers albums. Tout de même, les choses démarrent bien avec When I Die, dont l’instrumentation lustrée et le ton mélancolique rappellent le Beirut qu’on a tant aimé. La voix grave de Condon se fait toutefois plus posée, distante même, comme s’il voulait éviter de trop s’engager sur le plan émotionnel avec la musique (une constante sur l’ensemble de ce nouvel album).
La chanson-titre installe une belle atmosphère folk-pop, sur un rythme de valse, suivie de la délicate Varieties of Exile et de son accompagnement au ukulélé. Les nostalgiques de Gulag Orkestar retrouveront d’ailleurs une ambiance à la Postcards from Italy. L’utilisation des synthétiseurs (un Moog et un orgue Farfisa) apporte aussi une belle couleur à la tendre Landslide et à la complexe We Never Lived Here, qui porte des traces de musique minimaliste dans la tradition de Philip Glass pour un rendu assez peu caractéristique de la musique de Beirut en général.
Si Gallipolli se révèle un peu plus inspiré que le précédent No No No, il souffre parfois des mêmes défauts, dont une certaine mollesse dans le ton et l’interprétation. Certaines pistes donnent l’impression d’être restées un peu inachevées, comme si leur idée de départ n’avait pas été poussée jusqu’à son plein potentiel par Condon. La complainte I Giardini demeure étonnamment statique, à la limite de la musique d’ambiance, tandis que Light in the Atoll s’oublie aussitôt terminée.
L’album se veut aussi le plus atmosphérique de la discographie de Beirut. On pense parfois au David Bowie de l’époque Heroes ou même au travail de Brian Eno en solo. Ça donne parfois de bons résultats, comme sur la surprenante Corfu, mais ça vient aussi avec des longueurs, comme sur Gauze für Zah, dont la finale interminable porte ombrage aux harmonies vocales de style « barbershop » du refrain.
Qu’on me comprenne bien. Je ne suis pas un nostalgique d’une autre époque (la pop indie d’il y a dix ans) qui attend que Condon nous sorte un autre bijou à la Elephant Gun de son chapeau. Il est manifestement difficile pour un groupe associé à un style aussi précis de se réinventer : soit il s’enfonce dans la répétition et on crie au manque d’inventivité; soit il s’égare en explorant de nouveaux territoires et on s’ennuie du vieux stock. Devant ce dilemme, Beirut semble avoir décidé de jouer la carte de la sécurité depuis deux albums (les deux réalisés par Gabe Wax, tiens tiens), avec pour résultat une musique plutôt lisse qui manque de saveur. De la « Pinterest-friendly world indie », comme l’a écrit un peu méchamment The Guardian.