Battles
La Di Da Di
- Warp Records
- 2015
- 49 minutes
La musique qui a l’effet le plus persistant sur moi est celle qui arrive à jouer simultanément sur deux pôles de plaisir: celui qui provient de la nostalgie, et celui qui provient de la surprise. Je reste accroché aux groupes qui me semblent apporter du neuf à un contexte musical qui, parfois très indirectement, me rappelle les vieux plaisirs sensoriels de mes années 18-25. Je pense que mon cas est plutôt courant, mais chacun a son parcours musical, donc une idée différente de ce qui est surprenant et de ce qui est nostalgique.
Dès que Battles a lancé ses premiers EP en 2004, j’ai su que le groupe allait s’accaparer une part de mon attention, parce qu’il poussait ses concepts très loin tout en restant indéniablement rock. Ce côté rock est grandement assuré par la présence du batteur John Stanier. On ne s’associe pas au gars de Helmet et de Tomahawk pour lui faire jouer des congas et du tambourin, mettons. Le côté plus risqué du groupe venait quant à lui des manipulations et de l’auto-sampling imprévisible des trois musiciens qui l’entouraient: Ian Williams (ancien de Don Caballero), Dave Konopka et le bizarroïde Tyondai Braxton. Peu de groupes clairement attachés au rock faisaient quelque chose d’aussi unique à ce moment, et tout aussi peu l’ont fait depuis.
Braxton ne sera resté dans le groupe que le temps du premier album complet, Mirrored (2007). Malgré ses penchants pour l’avant-garde, encore très évidents dans ses projets solos, il apportait une certaine légèreté à l’ensemble avec ses voix manipulées et ses textes pince-sans-rire. Après son départ, le trio restant a choisi de collaborer avec divers chanteurs et chanteuse pour le deuxième album, Gloss Drop (2011), avec des résultats variés. Pour la première fois, on ressentait le doute et l’hésitation derrière certaines compositions du groupe.
Ce qui nous amène à ce tout nouveau La Di Da Di. Battles travaille encore à trois, et ne s’évertue plus à caser une voix sur ses chansons. Le trio retrouve ainsi un peu de la spontanéité et de l’énergie de ses débuts, mais perd la façon la plus immédiate de capter l’attention de l’auditeur. On le sent dans les pièces les plus longues de l’album, et notamment dans les deux extraits présentés au public avant le lancement de l’album, The Yabba et FF Bada. Beaucoup de moments de ces pièces, pris seuls, sont carrément fascinants, mais ils ne convergent pas vers un tout cohérent. Certaines chansons plus courtes comme Non-Violence, la très plaisante Dot Com et la plus douce Cacio e Pepe se démarquent en restant bien ficelées et en ne s’étendant pas trop, mais la brièveté ne règle pas tout. Les pièces Tyne Wear et Tricentennial perdent leur intérêt assez vite malgré une durée de moins de trois minutes chacune.
La clé pour déchiffrer La Di Da Di est révélée dans le court-métrage “The Art of Repetition”, mis en ligne quelques semaines avant la parution de l’album. Le technicien de studio Seth Manchester y explique ce qu’il a observé sur Battles, soit que Williams et Konopka apportent une multitude d’idées sujettes à des modifications sans fin, mais que les chansons ne prennent pas leur forme finale tant que John Stanier n’est pas présent pour physiquement accompagner ces idées. Ils ont un don pour créer une infinité des motifs sonores kaléidoscopiques, mais ne pensent pas en termes de chansons structurées avant d’y être forcés. Maintenant dénuées de voix, les compositions semblent assemblées encore plus arbitrairement qu’avant, sans fil conducteur clair.
Le plaisir avec Battles provient donc de plus en plus du pôle de la surprise. Si on ajuste son oreille en conséquence et qu’on accepte une part de chaos, il y a beaucoup de plaisir à avoir ici, et dans la majorité des pièces. Battles reste une formation tout à fait unique, résolument contemporaine, et encore très impressionnante à voir live.
Ma note: 7/10
Battles
La Di Da Di
Warp Records
49 minutes
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