Autechre
SIGN
- Warp Records
- 2020
- 47 minutes
Autechre est le projet des compositeurs britanniques Sean Booth et Rob Brown, duo prolifique qui a fait sa marque dès leur premier album, Incunabula (1993), publié sur Warp. La collaboration entre les deux entités semble n’avoir produit que des classiques, une histoire d’amitié qui nous mène à un quatorzième album en dix-sept ans, SIGN, publié à la mi-octobre. Celui-ci est définitivement le plus accessible depuis Oversteps (2010), seulement en termes de durée; on se rappelle que Exai (2013) durait deux heures, elseq 1-5 (2016) quatre heures et NTS Sessions 1-4 (2018) …huit heures. Également, les pièces sont majoritairement mélodiques et certaines ont même de la voix! Impossible vous dites? Ça fait depuis Confield (2001) que les algorithmes programmés dans MAX/MSP ont remplacé toute tentative d’abrutissement tonal ? Nous voilà tous confondus, Autechre nous offre un album léger et amusant qui prend une pause de l’expérimentation informatique.
M4 Lema prend la forme d’une trame dense et saturée qui, on s’étonne, évolue mélodiquement en parallèle à du bruitage de quantification. Une oscillation alarmante vient compléter l’atmosphère solennelle, comme un hymne joué à l’orgue. F7 continue rythmiquement au piano, de manière enjouée en plus, comme si Chilly Gonzales était passé au studio un après-midi ensoleillé. Le thème éclate de façon percussive aux synthétiseurs, doublé par un rythme par-dessus lequel une voix trafiquée interprète la cadence à sa façon. si00 nous ramène en territoire autechrien avec des fragments d’échantillons qui roulent sur eux-mêmes, précédant un motif rythmique pompé qui passe rapidement des percussions claires aux battements sourds.
esc desc démarre le thème avec des cordes frottées réverbérées, laissant ensuite l’avant-scène à une séquence à saveur de breakbeat et une performance vocale marmonnée près du microphone, à part quelques mots criés. La combinaison devient expérimentale, et prend de l’ampleur avec la mélodie à l’orgue qui oscille en amplitude et crée une vague très dense; de laquelle émerge une couche de bruit blanc et un joli son analogue arpégé qui monte à la surface comme des bulles. au14 ouvre sur du glitch de transfert de données et d’erreurs de quantification, réussissant tout de même à évoluer en courte trame ambiante montée comme un interlude. Metaz form8 freine ça de manière abrupte avec sa guitare électrique MIDI saturée et sa mélodie de jeu vidéo 8-bit tout à fait adorable. Une voix vient humaniser le thème, qui s’intensifie jusqu’à un niveau épique avec l’itération maximaliste qui agit comme un stroboscope sur le mix. sch-mefd 2 fait sourire avec ses échantillons de voix joués au clavier de façon à ralentir ou accélérer la prononciation des mots. Ça devient cacophonique à mi-chemin avec les percussions bruitistes, on ne comprend plus trop ce qui se passe, mais le résultat est intéressant.
Une cloche dissonante ouvre gr4 comme si elle était en train de fondre, se désaccordant progressivement jusqu’à ce qu’une trame au clavier reprenne le thème de façon encore plus chaotique. th red a passe à une trame synthwave absolument magnifique, répétant très rapidement une séquence arpégée soutenue par une épaisse strate itérative qui sature le thème comme une scie. La conclusion est hilarante, mais ce n’est rien en comparaison à psin AM, qui reprend Splish Splash (1958) comme si la pièce avait été interprétée par DEVO, une idée mémorable. r cazt passe à la pop japonaise comme un générique de manga et fait éclater de rire avec son thème bonbon.
Chaque album d’Autechre explore et repousse à sa façon les limites du territoire sonore que le duo élargi depuis trente ans. En le disant, on réalise que ça fait trente ans qu’ils l’agrandissent, sans arrêt. C’est à cet endroit que SIGN apparaît, comme un « vous êtes ici » placé à la frontière qui rappelle le chemin parcouru depuis le lieu d’origine. Dans ce cas-ci, deux vieux amis qui s’amusent à pratiquer des figures de breakdance dans une ruelle de quartier à Rochdale.