Arthur H
La vie
- Mystic Rumba
- 2023
- 51 minutes
Parmi les auteurs-compositeurs francophones qui méritent la plus belle des révérences, on ne peut passer sous silence le nom d’Arthur H. Le fils de feu Jacques Higelin a conçu tout près de 15 albums en carrière parus entre 1990 et 2021. Plusieurs fois récompensé aux Victoires de la Musique, l’artiste a toujours présenté des œuvres singulières et poétiques, mélangeant souvent le jazz, le blues et la musique classique. Arthur H peut être considéré comme le Tom Waits de la France. Un compliment, il va sans dire.
En 2021, il nous avait présenté Mort prématurée d’un chanteur populaire dans la force de l’âge qui, en fait, était une pièce de théâtre né de la rencontre entre Arthur H et le metteur en scène Wadji Mouawad. Arthur H y tenait le rôle principal, celui d’un chanteur populaire en sérieuse détresse.
Réalisé et écrit avec sa compagne de vie Léonore Mercier, le compositeur nous propose La vie. Enregistré en France, mais mixé à Montréal par un ami d’Higelin — Jean Massicotte pour ne pas le nommer —, ce nouvel album pourrait aisément être la trame sonore d’une œuvre cinématographique tant les arrangements de cordes sont sublimes. Évidemment, c’est l’acolyte de toujours, Nicolas Repac, qui s’occupe d’unifier l’instrumentation raffinée employée pour ce long format.
Au cours des dernières années, Higelin a beaucoup écouté de musiques instrumentales. Combiné à sa voix unique, éraillée comme toujours et ce phrasé remémorant Gainsbourg, cet amour pour la musique instrumentale élève l’indéniable talent du compositeur à un niveau supérieur. Ce goût pour la sophistication est en parfaite adéquation avec les propos à la fois lumineux et lucides que l’auteur exprime dans ses textes.
Dans un registre littéraire clairvoyant, Higelin nous parle de l’impossibilité d’être fidèle à sa propre nature lorsque l’on vit en société, d’où l’importance d’entretenir obstinément l’éventualité d’une libération intérieure :
À l’origine une peur qui s’est comme incrustée
Et qui tourne et qui tourne dans l’absurdité
Un coup mauvais sous ta peau tatouée
Une mémoire malsaine qui t’a contaminéEt l’amour qui soudain se rétrécit
Et la flamme qui s’éteint, qui s’obscurcitÀ l’origine quelqu’un qui te lâche la main
Et qui te dit la vie
– La vie
La vie t’a trahi
Arthur H a toujours été un artiste engagé portant un regard unique sur l’exercice du pouvoir dans nos sociétés occidentales. Dans La folie du contrôle, il met la lumière sur cette idéologie du « risque zéro » qui accentue la peur et restreint la créativité, en plus de nous infantiliser :
L’individu n’a plus de droits, que des devoirs
Au service d’un principe supérieur
Et pour être certain
Que chaque citoyenObéit à ce vivre ensemble
Obéit, obéit, suivi à la trace,
Obéit, obéit, surveillé sans relâcheIntégrer le fait d’être immature
Suis les instructions sinon punitionIntégrer les codes de l’autocensure
– La folie du contrôle
Parmi les meilleurs moments de ce superbe voyage dans la tête d’Arthur H, on salue Divin Blasphème, un hommage aussi souriant que senti à l’égérie punk française, Brigitte Fontaine. L’océan, elle, nous plonge dans une réflexion profonde sur ces êtres aimés qui nous quittent… et sur cette existence qui se poursuit, malgré les deuils. Le refrain dans El Magnifico est un véritable pourvoyeur de frissons. L’innocence est une évocation sonore parfaite du travail de Serge Gainsbourg et d’Alain Bashung. L’album se conclut avec deux vibrantes chansons : la ballade pianistique/orchestrale Cet amour me tue et L’étoile, un morceau remémorant la formation britannique Tindersticks.
Rares sont les artistes qui se bonifient musicalement avec autant de grâce avec l’âge. Âgé de 56 ans, Arthur H présente une création frémissante qui nous fait réfléchir aux aléas et aux courts moments d’épiphanie que peut nous procurer la vie… qui n’aurait aucune raison d’être sans l’inévitabilité de la mort.