Alaskalaska
Dots
- Marathon Artists
- 2019
- 46 minutes
On le sait tous, un premier album, ça passe ou ça casse. Dans le cas d’ALASKALASKA et de Dots, c’est une unanime et percutante entrée en matière. Faisant suite à un EP homonyme prometteur, le groupe débarque en force avec un album qui donne l’impression d’en écouter douze. Et pourtant, tout s’imbrique soigneusement.
Bien plus qu’un simple spicilège, le panache que porte avec assurance Dots allie un impressionnant mélange de style. Passant par un jazz fusion comparable à l’album Hot Rats de Frank Zappa, par de la pop inspirée des Talking Heads, ainsi que d’un afrofunk assumé à la Cymande, il donne envie de se dégourdir les jambes comme le bon vieux Elvis.
On constate également l’influence de la scène londonienne, là où le groupe a créé l’opus, en y dénotant à certains moments une sonorité jazzy digne de KOKOROKO et d’Alfa Mist. On note aussi des influences de Mount Kimbie au niveau de la construction et des crescendos de leurs chansons.
Malgré cette myriade d’influences, le sextuor parvient à se définir à travers cette combinaison éclatée en forgeant son propre moule. Cette appropriation stylistique permet ainsi de combler les envies et les intérêts d’un public hétérogène.
Dès le départ avec la chanson Dots, l’auditeur est submergé dans une atmosphère sinueuse digne de la série Stranger Things, comme pour annoncer un sentiment d’inconfort.
Dots est un album intellectuel, émotionnel et revendicateur, s’écoutant comme s’il était la résultante des changements que subissent le corps et l’esprit. Il évolue à travers diverses phases de vie tantôt euphoriques, tantôt plus calmes dans une randonnée qui présente à certains moments des pentes plus abruptes que d’autres. C’est un vaisseau spatial qui aborde des questionnements actuels sur l’évolution d’une société dans ses bons comme dans ses moins bons côtés.
Ce fait d’armes s’observe non seulement au niveau de la musicalité, mais également au niveau des paroles. Fait intéressant, on sent que le groupe s’éloigne de plusieurs artistes qui, de façon récurrente, se nourrissent de tristesse et de peines d’amour. On sent qu’ALASKALASKA tend plutôt à parler de l’amour vrai et cru à travers Tough Love et Monster. De plus, certaines chansons comme Bees et Meateater dénoncent une société robotique vivant sur une idéologie et un mode de vie déjà tracé.
Présentant des éléments qui persistes à travers chacune des chansons tout en laissant certaines choses disparaître puis réapparaître, comme le saxophone sensuel dans Bees et dans Moon, le groupe tend à imager des choses qui forgent l’être autant à titre éphémère que tout au long de sa vie. Quant à Sweat, elle permet de se rendre compte de la possibilité de reprendre son souffle suite à d’interminables moments de réflexion.
En employant un ton qui questionne autant qu’il affirme, la voix de Lucinda Duarte-Holman appuie bien les paroles. Intime, sensuelle, revendicatrice, elle présente des textures qui tendent à hypnotiser l’auditeur.
On sent chez elle une volonté d’inclure l’auditeur, alors que les sujets soulevés peuvent être vécus par tout un chacun. C’est pourquoi Lucinda pose des questions du genre « Are you breakin’, breakin’ all the rules again? » et, « Who’s in charge here? » dans Bees ou encore « Who gives a shit about anything lately? » dans Tough Love.
L’album se conclut par la chanson Skin qui, pour rappeler l’ambiance lourde en émotions et en questionnements de Dots, emploie l’autotune, comme pour rappeler que la plupart des êtres humains sont programmés au lieu de suivre ce qui les passionne réellement.
Certes, comme dans toutes choses il y place à un raffinement, mais ALASKALASKA aura fort à faire pour porter leur second album à un niveau aussi haut que celui de Dots.