POP Montréal 2018 Jour 4: Thus Owls, Nate Husser
Thus Owls
J’aurais besoin d’un roman pour décrire le concert que le duo Thus Owls a donné hier au Centre Phi, concert éponyme à leur dernier album The Mountain That We Live Upon. Et d’un dictionnaire de synonymes pour trouver assez de façons de ne pas répéter le mot génial.
Les portes se sont ouvertes sur une salle ponctuée d’instrumentistes; trois des guitaristes étaient vers les bords de la salle, tandis que le quatrième était en son centre, avec le batteur ainsi que la chanteuse et claviériste. Ils ont commencé à jouer dès l’ouverture des portes, une quinzaine de minutes avant l’heure H, mais pas leurs pièces encore : le quatuor de guitares baignées dans la réverbération créait un tapis atmosphérique lent et paisible pour accompagner l’infiltration des spectateurs entre les membres. Vers 20 h 30, soit l’heure prévue pour commencer le concert, ils ont lancé une courte pièce folk-ish qui s’est vite résorbée en un excellent solo de batterie à lent développement, le tout plongé dans un délai qui soudait parfaitement le tout. Deux deltas dynamiques plus tard, le tout s’arrête, les gens applaudissent — pour la première fois depuis le début, il y a une demi-heure—, tout est normal.
Immédiatement après, une jeune femme (la danseuse Hanako Hoshimi-Caines) monte sur un des subwoofers et dit à la foule que tout le monde doit la voir. Elle s’assied, et se met à peler une orange. 20 h 40.
Pas un son, sinon une mixologue sans scrupules sonores.
Elle se met de la crème, nonchalamment.
Quelques minutes plus tard (ça a l’air de rien comme ça, mais c’est long des minutes de silence. Ça trotte dans nos têtes), elle nous adresse la parole pour la deuxième fois, hésitante :
« There’s colors
There’—
There’s colors in it, but there’s not any such colors.
There’s colors in it, but there’s not any such colors. »
Bon, je ne vous conterai pas toute l’affaire, vous aviez juste à être là. Mais c’était quelque chose : pendant 45 minutes en tout, elle faisait des actions progressivement, les répétait, dansait sur une musique techno qu’elle arrêtait brusquement, se peignait les cheveux sur une harpe un peu new age, nous demandait de lui poser une question, ce que personne ne fit. C’était une expérience artistique confrontante et introspective, considérant évidemment le contexte saugrenu qui lui procurait ce caractère et la lenteur avec laquelle les évènements étaient exposés.
À la fin de la performance, la chanteuse et claviériste est venue danser avec Hoshimi-Caines au son de la première pièce du répertoire de Thus Owls (une heure après l’entrée en salle). Imaginez-vous comment un concert de Sun O))) sonnerait juste après 4’33 de Cage. C’est à peu près l’impression que la première pièce donnait, mais sans avoir besoin de mettre le volume au seuil de la douleur. En fait, c’était un des concerts des plus parfaits au niveau du son auquel j’ai assisté; et ce n’est pas qu’ils sont restés monotones!
Quand la composition est impeccable à la base, ça ne nuit pas, mettons. Les arrangements, les contrastes, le timing, l’ordre des pièces, les explorations sonores et la sonorité de chaque instrument en soi, la justesse, l’écoute entre les musiciens (malgré l’épidémie de foule entre eux), l’amplitude de chaque instrument à chaque moment, la synchronisation, les harmonies vocales, name it! est irréprochable, ça tire de la fabulation. Et tout ça, c’est sans même mentionner le jeu d’éclairages sans flafla, inventif, mais surtout en symbiose parfaite avec les flexions de la musique! Tout ça couplé avec une petite cerise sur le sundae 24 fois par seconde en 16mm cultivée par nul autre que Karl Lemieux… Je veux dire, tu veux quoi de plus?! C’est rare que je crie au génie, mais ce concert-là, pour moi, c’était un gros ★★★★★.
Nate Husser
Je suis allé finir la soirée aux antipodes de cette magnifique expérience avec Nate Husser au Théâtre Fairmount. Le rappeur montréalais était accompagné de son flow intense et fluide et de sa grosse production, mais pas seulement : ils étaient à peu près dix à se partager la scène en plus de lui et de Tommy Kruise aux tables. Certains étaient des rappeurs, certains de faux paparazzis, la plupart les deux à la fois, mais tous contribuaient à donner une méchante ambiance de party. Pour moi, le fun s’estompait à peu près là cependant; Kruise, avait la mauvaise habitude passagère de très maladroitement couper les pièces et prenait un accent street très, très douteux pour s’adresser à la foule. Même sans ça, pour moi le concert en était un comme les autres, sans grande authenticité, qui n’apportait absolument rien à la musique. Pas décevant, pas mémorable.
Ah oui, et Tommy Kruise fermait la soirée. Il a joué maladroitement des pièces de plein de rappeurs montréalais et avec des mécanismes de transition clichés et mal interprétés. C’était tout de même intéressant.