Osheaga 2018 jour 3: Noname, Slaves, The National, Brockhampton
Ma dernière journée d’observation de la communauté culturelle des Bobos s’est débutée par une reprise reggae absolument abominable de Wish You Were Here, première de quelques déceptions du séjour. J’ai été premièrement déçu par le trop petit nombre de fans présents au tout de même excellent, spectacle de LaF. Ils se donnaient à fond malgré la mince assemblée et son encore plus mince participation. C’est sûr qu’ils n’avaient pas l’heure la plus avantageuse, mais qui peut dire non à un tel concert sur une île artificielle au centre du Saint-Laurent? Mais bon, peu importe, parce que les trois MCs ne semblaient pas s’en préoccuper. Leur énergie était de feu, et même si quelques petits détails dans la production sont à revoir (comme le découpage des drops, leur préparation et les jeux de filtres), c’était un des meilleurs concerts de la journée.
Noname
Devant un public souillé par les arrosoirs automatisés qui semblaient ne jamais vouloir s’arrêter, Noname nous est arrivée avec une ambiance décontractée et festive, micro dans la main droite, rap authentique et superfluide dans la main gauche. Vraiment, cette rappeuse à mon sens a un débit bien à elle qui n’a pas grand-chose à envier aux gros noms du hip-hop, tous genres confondus. Bien que ses adresses au public scindaient bizarrement le concert, et que l’atmosphère décontractée manquait d’un soupçon de relief, c’était une performance globalement très réussie. Elle était parfaitement à son image et rafraîchissante… Autant parce qu’on était tous trempés que par rapport à l’épidémie osheagienne de trap.
Slaves
Après avoir entrevu une performance moyenne, mais surtout très insolente de Godlink (faire jouer Smells Like Teen Spirit presque au complet en ne faisant rien, ça devrait être expulsion immédiate quant à moi), je suis allé me défouler devant Slaves. Le duo a beau être un duo, leur spectacle sonne comme une tonne de brique — du moins assez souvent pour en être surpris. Pourtant ils n’ont l’air de rien : le chanteur et batteur n’a qu’un floor, une caisse claire et deux cymbales… Ce sont les techniciens de son qui font le travail ici, parce que son floor est lourd et puissant comme deux grosses caisses, et la basse ou la guitare remplit tout l’espace acoustique disponible. Certains moments étaient un peu trop faibles (surtout quand il utilisait la guitare), mais l’énergie que les gars dégageaient remplissait assez bien les trous. Bon, le jeu du batteur était un tantinet carré, mais ce n’était rien de dramatique. Et ça faisait un grand bien, un peu comme avec Yeah Yeah Yeahs vendredi, d’avoir un peu de saleté dans cette journée très électronique.
Modeskeletor c’était absolument immense, du style plus-gigantesque-que-les-enceintes-semblent-le-permettre, Franz Ferdinand c’était synchro, le party était pogné, mais ils jouent toujours la même toune pis c’est lassant au bout de 20 minutes, et je suis allé m’acheter un délicieux grilled cheese pendant Rockstar de la Trapstar du moment, Post Malone.
Jungle
Pendant que je me régalais dudit grilled cheese, LP Labrèche était à Jungle : « Et j’ai dansé ma vie. La formation anglaise est venue nous jouer les succès de son dernier album et surtout les pièces de son prochain à paraître à la mi-septembre. J’ai dû suer l’équivalent d’eau nécessaire pour abreuver une petite ville pendant un an et ça en valait la chandelle. Le groupe était visiblement heureux de la réactivité de la foule et souriait à belles dents pendant qu’ils nous envoyaient Busy Earnin’, Time, The Heat, House in LA et Happy Man. Un des meilleurs concerts de la fin de semaine sans contredit. »
The National
Les journées sont toujours trop joyeuses pour The National. Les sept pleurnichards postmodernes ont enchaîné les classiques sur la grosse scène, mais étonnamment le concert n’était pas toujours si familier aux ambiances mélancoliques et grandiosement geignardes des albums. Peut-être que la tournée leur fait du bien, et je leur souhaite, mais de mon point de vue les arrangements plus rock rappelant davantage leurs débuts ne sont pas à l’honneur de la musique de leurs quelques derniers disques. L’ajout sporadique de trompette et trombone faisait un peu rouler les yeux par moments — semblable à l’ô combien pertinent et activiste « Trump is a Neo-Nazi » lâché par le chanteur —, et la distorsion de la guitare était trop brute et agressive. Les moments les plus subtils ainsi que les climax étaient magnifiquement interprétés, mais l’entre-deux était un peu pubère, déséquilibré.
Au niveau de la performance comme telle, par contre, tout était à peu près parfait. Le chanteur a eu beau se lever sur les barrières, plonger dans la foule, marcher jusqu’à la scène et remonter dessus, les yeux fermés on n’y aurait vu que du feu. Lui et ses congénères ne manquent presque aucune note, tout est à sa place. Dommage, donc, que leurs arrangements soient aussi disparates et maximalistes, nous laissant avec un mix boueux et indistinct des sept interprètes. Néanmoins, certains des moments calmes, typiques de leurs derniers albums, font partie des meilleurs moments de la journée pour moi, et ce en bonne partie grâce au jeu subtil et intelligent du batteur.
BROCKHAMPTON
J’avais de trop grandes attentes envers les quelques Texans qui ont créé trois des meilleurs albums de rap de l’année passée. Le monde du hip-hop a adopté au fil de son règne des pratiques scéniques qui peuvent être approchées de différentes façons, certaines plus je-m’en-foutistes que d’autres. Pour moi, de ne pas interpréter la musique qui joue dans un concert n’est pas nécessairement un problème. Mais pour faire valoir l’intérêt de préparer une bande, il faut au moins que ladite bande sonne comme du monde. Avec BROCKHAMPTON, on découvre rapidement que ce n’est pas le cas, et qu’ils n’en ont absolument rien à faire.
Sur un fond de vidéos prises par un iPhone drôlement insipide qui font vite de nous lasser, les six membres mènent une performance à la Beastie Boys très bien rodée — à l’exception d’une très grande quantité de fausses notes, faute d’autotune, je suppose… —, et le public bien chaud leur renvoie volontiers la balle. Évidemment, parce que tout le monde connaît bien leurs hymnes accrocheurs. Mais le DJ brille par son absence sur cette scène virtuellement verdoyante, et pourtant tout est inégal, parfois même désagréable, comme si personne ne s’était donné la peine de mixer quoi que ce soit avec un sub. Trop de basses, on n’entend pas les échantillons, le 808 est aggressant, etc. Même les micros des MCs faisaient des montagnes russes! Franchement, c’est un peu prendre le monde pour des imbéciles.
En tout cas, les Osheagiens fatigués festoyaient tout de même fort. On peut dire qu’autant pour les bonnes que pour les mauvaises raisons, BROCKHAMPTON s’inscrit dans la lignée des grands Boys Bands occidentaux.
Florence + the Machine
Pendant ce temps, LP Labrèche était du côté de la scène principale avec Florence + the Machine : « Florence Welsh et sa bande sont passés d’underdogs de la pop à une machine bien huilée qui ramasse tout sur son passage comme une charrue en hiver. Impossible de rester de marbre devant l’énergie déployée par la rouquine anglaise. Avec sa voix incroyable qu’elle maîtrise avec un aplomb hors du commun, elle a livré les succès de ses quatre albums en plus de se trémousser allègrement et de courir d’un bord à l’autre de la scène. Une chose est sûre, elle est en forme la Florence. Shake It Out, Ship to Wreck, Delilah et j’en passe, Welsh et son groupe ont terminé cette édition 2018 d’Osheaga sur une note parfaite. »