Mile-Ex End (jour 2) : sous la pluie, en bonne compagnie
Comme un seul homme, malgré la flotte qui s’abattait sur Montréal, j’étais présent afin d’assister à la deuxième journée du festival Mile Ex End qui se déroulait sous le viaduc Van Horne, situé à proximité de la station de métro Rosemont. Malgré les quelques déceptions musicales qui ont ponctué mon parcours lors de la première journée, je m’attendais à d’excellentes prestations de la part de Kid Koala et de Patrick Watson. Mais surtout, j’anticipais avec une ferveur certaine la prestation de Godspeed You ! Black Emperor.
13 h 40. J’arrive sur le site et me dirige tout de go à la scène Mile-End afin de revoir l’excellent Kid Koala… et je recommande fortement son tout dernier album : Music To Draw To : Satellite. L’un des bons disques parus cette année. Cela dit, avec notre koala préféré, on peut s’attendre à tout puisqu’il ne se gêne jamais pour transformer ses prestations en un happening collectif aussi beau que délirant.
Cette fois-ci, Eric San avait positionné ses tables tournantes directement sur le plancher des vaches, en face de la passerelle bétonnée qui sert d’appui au viaduc. On a eu droit à une prestation d’anthologie. Au programme ? Une pinata tapochée allègrement par quelques « vieilles jeunesses ». Une danse collective spiralée magnifiquement commandée par notre koala en chef. Des extraits sonores incluants du White Stripes, du vieux blues sale et du soul millésimé. Puisque nous étions en début d’après-midi, et qu’il y avait quelques enfants sur place, San en a profité pour nous présenter une chanson coécrite avec Lederhosen Lucil; une pièce crée spécifiquement pour l’émission américaine pour enfants Yo Gabba Gabba. Bref, avec pas grand-chose, Kid Koala réinvente ses performances scéniques tout en demeurant totalement pertinent. Un début de journée de feu !
(Crédit photo : Julien Gagnon)
Après une petite heure de pause passablement humide, j’étais de retour à la scène Mile-End pour voir de visu le concert de Suzanne Vega. Pour nos jeunes lecteurs, Suzanne Vega est une artiste américaine qui a été l’une des précurseurs d’un genre musical qui me fait bailler d’ennui : la catégorie « adult alternative ». Grâce à Suzanne Vega, certains d’entre nous ont dû se taper quelques soirées à la chandelle en écoutant du Sarah McLachlan… Même si j’ai vieilli, je suis toujours aussi loin de cette musique qui me donne plutôt envie de consommer de nombreuses tisanes à la camomille.
Malgré tout, je respecte la démarche artistique de l’artiste qui nous proposait une relecture intégrale de son classique Solitude Standing. Eh bien, malgré le côté soporifique de la musique de Suzanne Vega, je dois avouer que cette prestation m’a passablement surpris. Accompagnée par un trio de musiciens expérimentés – un bassiste de génie – elle a comblé les attentes. Coup de chapeau aux excellentes versions d’In The Eye et de Solitude Standing. Bien sûr, elle nous a interprété son grand succès Luka, mais malheureusement, mon cerveau s’est tout de suite réfugié dans la parodie de RBO intitulée Linda. Je fais immédiatement mes excuses aux fans.
(Crédit photo : Julien Gagnon)
À 16 h 30, je transfère à la grande scène Mile Ex pour évaluer la débrouillardise de l’auteur-compositeur-interprète Andy Shauf. Je dis « débrouillardise », car c’est sous une pluie diluvienne que le Canadien a dû présenter son folk de chambre raffiné. Malheureusement, la puck ne roulait pas pour lui. Contraint par cette averse qui transformait dangereusement la scène en une flaque d’eau géante et souffrant lui-même d’un déficit charismatique, Shauf peinait terriblement. La prestation fut même écourtée quelques instants, le temps de « mopper » la scène. Le pauvre jeune homme est revenu pour conclure avec une dernière chanson, mais le mal était fait. Si je tiens à me faire une meilleure idée de la réelle valeur d’Andy Shauf, je devrai aller le voir dans un endroit plus intime.
Quelques instants plus tard, je me retrouvais de nouveau à la scène Mile-End avec la dynamique et sympathique Basia Bulat. L’an dernier, j’avais quand même apprécié l’album Good Advice. Le virage soul-pop « belle et bum » accompli par l’artiste était somme toute réussi; gracieuseté du réalisateur Jim James, maître de cérémonie de la formation My Morning Jacket.
ENFIN, j’ai pu assister à un concert folk-pop dans lequel l’envie de communiquer de manière sincère avec le public est d’une importance capitale. Basia Bulat a du charisme à revendre, se déplace de long en large sur scène et invite l’assistance à participer activement. Techniquement parlant, elle est irréprochable. Assurément, elle est l’une des plus belles voix entendues ce week-end. Même si ce qu’elle propose est consensuel et me laisse un peu de marbre, Bulat a du talent. Une naturelle.
(Crédit photo : Julien Gagnon)
Petite pause-souper et j’étais de retour à la scène Mile-End pour revoir une énième fois Patrick Watson. J’adore Watson en album. Un peu moins en spectacle. Chaque fois que j’ai vu l’artiste en concert, il y a toujours eu un moment ou un autre où je me suis ennuyé terriblement. Cette fois-ci, je souhaitais fortement qu’il confonde le sceptique en moi.
Pour cette prestation spéciale – le musicien réside dans le quartier – Watson a fait appel à une chorale céleste, située sur la passerelle bétonnée, afin de bonifier ses chansons d’une aura spirituelle. Une idée de génie, en ce qui me concerne. La superbe scénographie, singularisée par quelques ampoules géantes, était enrichie par des éclairages simples, mais franchement inventifs.
Musicalement, c’est toujours aussi impeccable. Je serais assez culotté de faire ma fine bouche quand un groupe est formé de trois instrumentistes de feu et une cantatrice de haut niveau. Robbie Kuster, Joe Grass, Simon et Erika Angell sont tout simplement trop forts pour la ligue ! Du début à la fin, Watson et sa bande ont fait fermer le clapet à une très large part du public présent. Et dans le cadre d’un festival qui se veut rassembleur, ce n’est pas une mince tâche. Cela relève même de l’exploit ! Un pouce levé pour les superbes relectures d’Adventures In Your Own Backyard et Drifters. Le meilleur concert de Patrick Watson auquel j’ai assisté.
(Crédit photo : Julien Gagnon)
Finalement, le plat de résistance de la fin de semaine : Godspeed You ! Black Emperor. Oui, les fanatiques finis peuvent me lancer une multitude de tomates, car j’assistais pour la première fois « en carrière » à une prestation de la mythique formation montréalaise. Honni sois-tu, cher Stéphane !
Cela dit, ceux qui les connaissent très bien n’apprendront rien de nouveau à la lecture de ce compte-rendu et les néophytes auront beaucoup de difficulté à bien saisir le phénomène GY!BE en lisant ce texte. Assister à un concert de la formation, ça se vit et ça se ressent. Ça ne s’intellectualise surtout pas.
Trois œuvres (car c’est bien de ça dont il s’agit) ont été catapultées à cette assistance qui n’en croyaient pas leurs oreilles : Undoing A Luciferian Towers, Moya et BBF3, si je ne m’abuse. Tout au long du concert, j’avais l’impression que tout le quadrilatère qui abritait le Mile Ex End était submergé par l’intensité sonore du post-rock orchestral de Godspeed ! Évidemment, une large partie de l’assistance quittait les lieux, se demandant bien ce qui se passait sur scène… surtout après avoir entendu de la chanson assez conventionnelle pendant deux jours.
Comment ce groupe peut-il être en mesure de bâtir des crescendos aussi évocateurs, aussi puissants ? Comment ce groupe peut-il atteindre un niveau aussi précis de « silences chirurgicaux » lors des moments introductifs ? Je ne trouve tout simplement pas les mots pour décrire convenablement « l’expérience » vécue. Un immense groupe. Un spectacle mémorable. L’un des 5 meilleurs concerts auxquels j’ai assisté dans ma longue vie de mélomane.
Bref, un week-end assez convenable pour cette première édition du Mile Ex End. Maintenant, il s’agit pour le collectif Mishmash de préciser ses objectifs. Si le Mile Ex End est destiné à être un sympathique festival de quartier, rameutant les Montréalais qui, la fin de semaine de la fête du Travail, n’ont pas quitté pour le chalet ou encore pour le FME, ils devront tout simplement apporter de minuscules modifications à la programmation afin d’y incorporer des artistes un peu plus dynamiques.
Si l’objectif est de jouer dans les ligues majeures, il y aura alors beaucoup de travail à faire. En ce qui concerne la programmation, un deux ou deux gros joueurs musicaux de calibre international, seront plus que nécessaires. Et il faudra offrir aux festivaliers une expérience fertilisée par un apport visuel plus intéressant que les quelconques dinosaures soufflés, plantés près de la scène principale.
Donnons la chance au coureur. Le Mile Ex End est un événement prometteur qui mise sur le décor urbain/industriel du viaduc Van Horne et de ses alentours. Aux organisateurs d’améliorer l’ensemble de l’œuvre. Somme toute, une bonne première édition.