Le Festif! 2019 : une décennie à fabriquer du rêve
« Y’a du monde partout », c’est la phrase que Clément Turgeon, directeur du Festif!, m’a répétée chaque fois que je l’ai eu la chance de le croiser pendant la durée du festival. Et il avait raison. D’abord, parce que cette dixième édition a attiré plus de 40 000 festivaliers (un record), mais surtout parce que ces derniers ont répondu à l’appel qui leur était lancé de fouler la ville afin de s’imprégner pleinement du Festif! et de Baie-St-Paul, les deux grandes vedettes de cette longue fin de semaine.
Gérer les attentes
La pression se fait de plus en plus forte sur la petite équipe qui tire les ficelles du festival. Si sa popularité et sa réputation le placent désormais dans une case à part, son succès repose encore sur l’expérience quasi intime qu’on s’attend à vivre quand on participe au Festif! Et c’est précisément ce fragile équilibre entre festival grand public et événement underground que l’organisation a une fois de plus réussi à préserver avec sa présente édition. Plus que jamais, on avait l’impression qu’il y en avait pour tous les goûts (et tous les âges). De Marjo, à Teke Teke en passant par les Dead Obies, Tire le Coyote, Gogol Bordello et Ariane Moffatt, cette dixième mouture sous-entendait une chose: le Festif! ne veut pas grossir pour grossir, il veut plutôt innover et rallier; deux objectifs qu’il a encore une fois atteints.
Innovations
Au lieu de s’asseoir sur ses lauriers, la bande à Clément Turgeon a poursuivi sur sa lancée en proposant diverses nouveautés et améliorations. La plus spectaculaire fut sans conteste la scène flottante qui, en pleine canicule, a permis à des centaines de festivaliers de profiter des prestations de Bleu Jeans Bleu et de Jérôme 50 à même les rivages et les eaux de la rivière du Gouffre. À elle seule, cette prouesse technique illustre à merveille la principale force du Festif!: faire d’une idée à première vue débile une grande réalisation. Parmi les autres nouveautés, notons les stations d’eau, les zones d’ombre, la machine à jam, les séances de karaokés (animées par Arnaud Soly et Vincent Peake), l’envoi des billets par la poste (ce qui a permis de décongestionner la billetterie) et une panoplie d’autres attentions qui ont facilité la vie des festivaliers. À ces innovations s’ajoutent quelques améliorations techniques dont certaines ont permis, entre autres, aux oiseaux de nuit de mieux profiter des spectacles présentés au garage du curé (la scène étant maintenant plus haute) et sous le chapiteau (de plus grande dimension et avec une scène également plus élevée).
En avant la musique
Soutenue par une programmation alliant gros noms d’ici (Marjo, Trois Accords, Ariane Moffatt, Kevin Parent, etc.) et artistes plus en marge (Pale Lips, Guantanamo Baywatch, Teke Teke…), l’édition 2019 offrait une large palette musicale aux festivaliers, mélomanes ou curieux qui y ont participé. Comme c’est toujours le cas avec le Festif!, – c’en est d’ailleurs frustrant – il était impossible d’assister à tout. Voici quand même quelques moments phares que j’ai eu la chance d’attraper pendant mon séjour à Baie-St-Paul:
Les Louanges
Responsables d’ouvrir le bal sur la grande scène jeudi soir, Les Louanges ont mis la barre très haute en offrant une prestation digne d’un band des ligues majeures. Parfois hip-hop, parfois soul, saupoudrant leur rock d’un peu de jazz, le spectacle présenté par la bande à Roberge était d’une telle richesse et d’un tel aplomb qu’on est maintenant en droit de rêver au meilleur quant au futur de cette jeune formation. En pleine possession de leurs moyens, complètement libre et décomplexé, le sourire aux lèvres, Les Louanges ont su gagner et leur coeur de leurs fans et celui des gens qui découvraient leur univers. La barre était tellement haute, et la connexion tellement naturelle, que la prestation que Chromeo a livrée par la suite a semblé quelque peu fade et formatée.
Alexandra Stréliski
Sur les coups de minuit, dans les jardins de François adjacents à l’hôtel le Germain, Alexandra Stréliski a hypnotisé l’imposante foule qui s’était déplacée, malgré la case horaire atypique, pour être bercée par son jeu de piano. Le décor s’agençait à merveille avec le répertoire de l’artiste. Il s’agissait d’une expérience douce et enveloppante que les fans et la pianiste se rappelleront longtemps.
Bleu Jeans Bleu
Le soleil écrasant du vendredi après-midi était sur le point de saper le moral des festivaliers lorsque Bleu Jeans Bleu a inauguré la scène flottante, au grand bonheur des festivaliers qui trouvaient là le prétexte idéal pour s’approcher d’un cours d’eau. Le mariage entre scène flottante, embarcations pneumatiques, rivière, chaleur accablante et répertoire saugrenu de la troupe montréalaise ne pouvait pas mieux tomber. Et on n’avait pas besoin de coton ouaté.
Gogol Bordello
Clément Turgeon caressait depuis des années le rêve de recevoir Gogol Bordello au Festif!. Cadrant parfaitement avec l’ambiance « cirque » qui a permis au festival de se distinguer, la troupe gypsy-punk multiethnique a encore une fois démontré que sa réputation de bête de scène n’était pas volée. Quoique légèrement inégal, le répertoire présenté a su insuffler une bonne dose d’énergie aux spectateurs qui avaient réussi à mettre la main sur des billets. Mentions honorables aux solides performances qui ont précédé celle de Gogol, particulièrement à celle de The Brooks, sans doute l’un des meilleurs groupes que le Festif! ait jamais présenté.
L’Opéra-rock des Hôtesses d’Hilaire
Pour ceux qui comme moi n’avaient pas eu la chance de voir la superproduction concoctée par les Hôtesses, il ne fallait pas manquer le passage de la délégation au Festif!. Opéra-rock, expérience musicale décomplexée, théâtre expérimental, humour noir aux limites de l’absurde, cette oeuvre riche et ultra divertissante cache un travail de composition et d’interprétation énorme qui pourrait rappeler l’univers de Zappa. En assistant aux univers parallèles de Kevin et de Serge, on passe du kitch au psychédélique, d’un costume à un autre, d’une chorégraphie de boys band à une narratrice assise sur son divan, de la satire au défoulement collectif, du rictus aux éclats de rire. Bref, de quoi être jaloux de nos voisins néo-brunswickois.
TEKE::TEKE
Nous étions plusieurs à découvrir le terrain de jeu de TEKE::TEKE samedi soir au garage du curé, alors que les Trois Accords emboitaient le pas à Marjo sur la scène principale. Avec une énergie mystérieuse, la formation montréalaise a séduit, et ce gratuitement, bon nombre de curieux grâce à son surf rock oriental rappelant certaines trames de Tarantino ou le repiquage traditionnel du répertoire de Secret Chiefs 3. Visiblement ravie de la réaction de la foule, la formation s’est montrée généreuse et enjouée, au grand bonheur des gens qui attendaient la fin du gros show pour continuer à festoyer dans les autres lieux de diffusion.
Lydia Képinski
Sur le coup d’une heure du matin, dans un sous-sol d’église plein à craquer, Lydia Képinski s’est payée la traite en nous entraînant sans réserve dans son monde unique. Un monde fait de rock, de mystères, de sensualité et de démesure, voire d’instabilité. Même si sa musique prend une place prépondérante, c’est la force de ses textes qui font d’elle, sur album comme sur scène, une artiste plus douée que la moyenne.
Bref, entre le « revival » de Marjo, les spectacles de rue du samedi, Robert Nelson qui s’éclate dans un autobus à 2h du matin, le sourire des bénévoles, les stands de bouffe et de bières charlevoisiennes, les shows secrets présentés un peu partout (KNLO, Beauregard, DJ Champion, etc.), la scène flottante, le spectacle intimiste de Philippe B à 4h45 du matin, les artistes locaux, le souci environnemental fidèle à l’organisation, les spectacles dans une rue où l’asphalte est sur le point de fondre sous nos pieds et les fanfares qui prennent d’assaut la ville, le Festif! a encore une fois rempli sa mission, soit celle de créer du rêve.
NB. Cet article a été composé en squattant divers réseaux wifi des Maritimes, ce qui explique son arrivée tardive.