Le FMEAT 2016
Il est environ 16h15 quand nous arrivons dans la ville de Rouyn-Noranda. Mon appréhension grandit à mesure qu’on approche de la maison d’accueil. Usuelle anxiété sociale mêlée au doute de mes capacités de récupération rapide en période d’intoxication et de sommeil léger. J’ai entendu des choses sur le Festival de musique émergente en Abitibi-Témiscamingue. Que du bien qui s’étend de la qualité de son organisation à son équipe en or – ou en cuivre, c’est selon. Heureusement, ces rumeurs se sont toutes avérées véridiques durant le long et festif week-end. Aussi, je remercie les efforts des quelques 300 bénévoles qui se sont occupé(es) de la meilleure des façons des festivalier(es), des artistes, de l’industrie et des médias. Et, aussi bravo aux Rouynorandien(nes) de tous âges qui assistent volontiers aux spectacles et font preuve d’une grande ouverture devant l’offre musicale.
Maison d’accueil, 16h15. On empoigne les cocardes, puis on passe à l’hôtel enfiler les vêtements chauds. Le transport nous débarque devant le superbe portail du FME d’où s’échappe l’odeur appréciable du méchoui d’accueil chaleureux et féculent. Québec Redneck Bluegrass Project fait son entrée sur la grande scène: «Bonsoir FME, câlisse t’es-tu en forme!?». Le ton est donné et ils débitent à fond de train leurs chansons traitant de Réalité Régionale, de café Chemineau et de Pantera Arctic Cat Triple 800; des virelangues de boisson et des solos de tous les diables. Le public se fait plus dense et réchauffé, j’ai le temps de me mettre en troisième rangée pour voir la collaboration de Galaxie avec Marie-Pierre Arthur. Même si je ne comprends pas bien l’intérêt de ce tandem, leur plaisir à jouer ensemble est indéniable et ils ne manquent pas de nous livrer une performance de rock à la fois bien gras et bien dansant; un savant mélange de torticolis et de crampes au mollet.
À minuit, je me rends au Cabaret de la dernière chance pour voir Partner, un duo de forces féminines indie-grunge originaire de Sackville au Nouveau-Brunswick. Lucy Niles et Josée Caron donnent un show juste assez sale et intimiste chantant des pages de leur journal d’anecdotes «100% queer» baignées d’autodérision et d’hygiène de vie discutable, super le fun. Josée Caron sort parfois sa guitare à deux manches… quand un minimum de 18 cordes est requis pour se faire entendre. Seule remarque faite au ventilateur de plafond qui menace à tous moments de scalper les mélomanes du Cabaret.
La deuxième journée démarre à 15h, à la place de la Citoyenneté, où sont déjà en position les quatre groupes de La Colonie de Vacances, Papier Tigre, Electric Electric, Marvin et Pneu. Ces derniers proposent un concert quadriphonique qui place le public au centre d’un quadrilatère de scènes. Dans cette arène de la 4e dimension musicale, j’ai une pensée pour Scott Pilgrim alors que les groupes nous précipitent leur orgie de rock mathématique au travers du corps. C’est une pièce de Greg Saulnier. Les 26 sauces de maître saucier, écrites à l’occasion du festival nous explosent dans les tympans, se lançant et relançant le bâton du rock devant un public qui visiblement apprécie de se faire prendre de tous les côtés. La deuxième partie écrite par La Colonie est tout aussi fulgurante. Montréal, si tu m’entends, fais-les venir.
Je marche ensuite jusqu’au Café-bar L’Abstracto où je m’installe avec une pinte pour le spectacle de Ludo Pin. Il nous présente de la pop électro douce bizarroïde et éclectique qui sert magnifiquement bien sa poésie poignante à la recherche du temps perdu. Accompagné de Mathieu Vezio, à la batterie, de Simon Dolan à la basse et de Navet Confit, «à toute ça», il nous joue entre autres les morceaux de son album paru récemment, Les moyens du bord. L’artiste remercie fréquemment la salle, reconnaissant de les voir si attentifs. J’emprunte le boardwalk du Lac Osisko pour me rendre à la 7e rue où se compactent depuis un moment les festivalier(es) devant la scène où Yann Perreau doit nous présenter les pièces de son dansant nouvel album Le fantastique des astres. Déjà euphorique, la bête de scène nous envoie Baby Boom en pleine figure et défile sa pop cynique de discothèque, mettant en valeur toute l’ardeur de son ouvrage. Il pense à nous et nous fait même prendre deux grands respires avant de repartir le cycle de machine à danser. Malheureusement, je dois quitter pour la prestation de Lakes Of Canada à l’Agora des Arts. L’ancienne église s’avère à propos pour accueillir leurs voix harmonisées en chorale gospel. La sympathique Sarah Morasse associe son nom avec le plus célèbre restaurant de poutine de la région. Le groupe nous porte doucement, mais fermement au-dessus du Bouclier canadien, élevé par leurs prouesses harmoniques.
De retour devant la Grande Scène, la foule se fait impraticable pour atteindre les places à visibilité moyenne. Half Moon Run est bel et bien dans la place. Faute de les voir, je profite tout de même d’un fort joli spectacle d’éclairage et de leurs voix aiguës qui percent avec douceur la fraîcheur de Rouyn-Noranda. Je suis touchée d’un apaisement extrême avant de tourner de nouveau les talons vers l’Agora.
La fébrilité des médias est perceptible avant l’entrée en scène d’Avec pas d’casque, venus nous interpréter pour la première fois leur nouvel album Effets spéciaux. Pour un opus dont on proclame la lenteur et la langueur, je passe l’heure la plus courte de ma vie. Au creux de leur espace folk enveloppant, on sent que tout ce qui nous parvient a passé le cap d’un dépouillement rigoureux pour n’y laisser que l’essentiel. Stéphane Lafleur n’est assurément pas un adepte de fla-fla, et les images qu’il évoque, les phrases qu’il construit touchent par leur justesse et leur sobriété. Par ici la nuit des beaux rêves.
Tous mes espoirs d’enfiler du linge d’automne s’évanouissent à la troisième journée. À 28 ºC devant la grande scène, le réveil doit être dur pour certains, mais apparemment pas pour Samito. Ce dernier se déhanche magnifiquement et avec vigueur devant l’audience familiale aux centaines de mini cache-oreilles. Ce son plaisant, hybride, inspiré d’esthétiques africaines, d’électro-pop, de funk et même de solos bien bruyants, parvient à faire délier les jambes de certains timides. Il termine avec la pièce Oskia qu’il rebaptise Huskys en l’honneur de l’équipe rouynorandienne de hockey junior majeur, et lève glorieusement la Coupe du Président devant les festivalier(es) en liesse.
Arrivant de justesse au Bistro le Cachottier, je capte les ritournelles pop planantes qu’on retient instantanément d’Ariane Zita. Tough Love, Soyons Sauvages, Oui mais non, une reprise des B.B., puis en rappel et au plaisir de tous les enthousiastes précoces, sa chanson de Noël, Mon cadeau c’est toi. «Joyeux Noël. Joyeux FME». J’ai le temps de me rendre à la Maison d’accueil pour ne parler à personne, et pour me bourrer la face dans le gravlax de saumon à l’occasion du barbecue de l’industrie. Il est à noter que tous les restes ont été portés à un organisme de récupération alimentaire, bravo! Je me dépêche à l’Agora où Bernhari a déjà envahi l’ancien lieu sacré de sa musique impure! En grande partie tirée de l’album paru en mai, ÎLE JÉSUS, les pièces s’emboîtent les unes dans les autres, il ne reste plus qu’à se laisser émoustiller la chair de poule par la voix langoureuse de Bernhari et son orchestration sensuelle.
En face, au Petit théâtre du Vieux Noranda, VioleTT Pi entre en scène, tous vêtus en ingénue. Impossible de voir venir ce qui suit. On est violemment trimballé entre des humeurs musicales allant du grunge, au dubstep; du funk au nu métal. Karl Gagnon propose la plupart du temps des mélodies à faire mourir de jalousie n’importe quel artiste pop… et change de registre avec des cris d’outre-tombe. Puisqu’il prononce si bien, la totalité de sa poésie, bijou de saletés immondes et imprévisibles nous viole les oreilles et l’imaginaire. Il a joué les titres de son dernier album Manifeste contre la peur ainsi que plusieurs autres d’Ev et j’ai été pleuré aux toilettes avant de traverser le centre-ville en direction de la Scène Paramount.
Rednext Level, formé des membres d’Alaclair, Ogden, Maybe Watson et Tork entrent en scène à bord de leur air motocross, la cérémonie ironique de la classe moyenne peut officiellement commencée. Argent légal, tiré de l’album homonyme, puis 40 K, Sri Lanka; les références drôlissimes fusent sur des beats réjouissants de gangsta rap, de house, d’électro, de tout ce que tu veux qui te raisonnent des pieds à la casquette. Et, même si l’heure est à la rigolade, pas de compromis sur le flow, la salle se démène, il fait chaud. On post-chantonne le refrain de Baby Body en attendant l’enfant sitedemo.caigue, nul autre que Koriass, le rappeur féministe. Ce dernier fait irruption sur scène avec un aplomb désarmant, il interprète Légendaire de son récent opus Love Suprême, Petit Love, Black Lights, Zombies, Ouvre ta fenêtre, Nulle part – la foule opine bruyamment quand il dit qu’il a «toute une génération dans [son] back», il ne manque pas de nous faire ses vieux succès tirés de Petites Victoires, Garde ta job et Enfant de l’Asphalte. Koriass livre une prestation à tout rompre, mais la foule en veut encore. Sous la pression, le guerrier engagé se coule dans le gosier infecté d’amygdalite une pleine canisse de Boréale rousse. Respect.
J’arrive de justesse au Cabaret de la dernière chance pour l’ultime prestation de Fred Fortin. Encore bien solide et accompagné d’Olivier Langevin, de Sam Joly et de François Lafontaine, ainsi que de Joss Tellier, il enchaîne les pièces de son album Ultramarr, avec tout le talent d’instrumentiste qu’on lui connaît et toute la sensibilité aussi. La crème de la génération X livrée pour nous, exécutant à tour de rôle des solos mentaux. Devant l’amour manifeste et bruyant du public, c’est un Fred Fortin bien ému et sans doute pas loin d’être vidé de son énergie résiduelle qui nous consent de multiples rappels, et même Vénus de Gros Méné.
On peut se lever tard à la quatrième journée, puisque le premier rendez-vous a lieu à 14h au parc Botanique. Sous le chapiteau, le sextuor Dan San originaire de Liège en Belgique nous réveille bien en douceur avec son indie pop mélancolique aux harmonies vocales touchantes. Le transport me débarque une dernière fois devant le Café-bar L’Abstracto. Rosie Valland, dans une concentration absolue, et en formule trio, nous joue la pop folk déchirante de son album Partir avant avec un son dramatiquement épuré pour un maximum de profondeur et de chagrin. Très beau. Je remprunte le boardwalk vers l’Agora des Arts pour le spectacle de clôture du FMEAT. Je suis surprise de trouver Tire le coyote aussi drôle. Pas juste drôle, disons-le. Son œuvre country tantôt calme, tantôt pourchassée par le diable, et tirée de ses albums Mitan et Panorama, est des plus agréables. Sa poésie est belle et juste, il semble bien habile pour inventer les bonnes locutions et évoquer les bonnes images.
On se précipite à l’extérieur pendant les changements, vu la chaleur suffocante qui règne à l’Agora. C’est au tour de Laura Sauvage, le projet solo de Vivianne Roy des Hay Babies. Moi qui croyais son «son» folk, il est plutôt grunge (Yé!) elle alterne les pièces d’Extraordinormal et les blagues pince-sans-rire (mes préférées!) Notons aussi qu’elle est entourée d’une solide formation incluant Dany Placard à la basse – qui a aussi réalisé son album – ainsi que Jonathan Bigras et Nicolas Beaudoin de PONI. On leur remet la palme de l’ubiquité au FMEAT 2016.
C’est là-dessus que se termine ma première expérience du festival, venue sans grande surprise confirmer qu’il n’a pas de meilleur moyen de célébrer la fête du Travail. Tout le monde le sait, personne ne s’obstine, maintenant, ou plutôt l’année prochaine, c’est le temps de passer à l’action, de joindre le grand pèlerinage vers la Mecque de la musique émergente qu’est le FMEAT.