Concerts

FIMAV 2018 – soirée du 20 mai

C’est avec l’impérissable souvenir d’Afrirampo encore collé entre les paupières semi-ouvertes que j’ai entamé la journée de dimanche à Victo.

 

Et qui dit dimanche, dit brunch en compagnie de deux amis « locaux », d’authentiques Victoriavillois ! C’est à La Pomme verte que nous avions rendez-vous, et je dois dire que la file d’attente n’avait rien à envier à celles de chez Régine dans Rosemont. Au Québec, ça ne niaise pas avec le brunch. C’est donc bien repue et caféinée que je me suis dirigée vers l’église St-Christophe d’Arthabaska pour voir le concert en solo de Lori Freedman.

Lori Freedman solo

Infatigable exploratrice des possibilités de la clarinette et de la clarinette basse, cette grande dame de la musique improvisée est compositrice et interprète, et elle a reçu de nombreuses distinctions au fil de sa carrière colossale. Si elle est le plus souvent associée à l’Ensemble SuperMusique, il faut également souligner qu’elle organise chaque semaine un événement qui stimule les rencontres entre musiciens improvisateurs : les soirées Mercredimusics à la Casa Obscura, coorganisées avec Johanne Hétu et Jean Derome. Ces soirées, où Freedman, Hétu et Derome invitent des musiciens à jouer ensemble, constituent un réel vivier pour les musiques contemporaines et improvisées.

Nous sommes maintenant dans l’église majestueuse où flotte une odeur d’encens. Lori Freedman s’installe devant l’autel et amorce sa performance qui allie explorations vocales, clarinette et clarinettes basses. Entre les morceaux, elle précise que sa performance est une combinaison de ses propres compositions et de compositions écrites par d’autres. Elle y intègre des cris qui portent loin grâce à l’acoustique de cette église sise dans le vieux quartier de Victoriaville. Évidemment, le public est assis sur les bancs d’église, ce qui m’a rappelé pourquoi je n’aimais pas aller à la messe avec ma grand-mère quand j’étais petite : les bancs d’église, c’est tout ce qu’il y de plus inconfortable, probablement pour que les fidèles ne s’endorment pas ou pour quelque autre raison judéo-chrétienne assumant que le confort, c’est mal. Les deux hommes assis devant moi avaient, eux, prévu le coup en s’apportant de petits coussins plats. Mais peu importe, Freedman est en pleine maîtrise de ses instruments et en exploite les sonorités diverses en jouant parfois le plus subtilement possible, en modulant l’air qu’elle insuffle bruyamment dans sa clarinette ou en surélevant son instrument bien haut. La porte du tabernacle doré s’illumine au contact d’un rayon de soleil. Passant d’un instrument à un autre avec fluidité, alternant entre des phrasés lents et sombres suivis d’explosions rapides et de rythmes syncopés, la prestation de Freedman est pour le moins impressionnante. Elle clôt sa performance en descendant dans l’allée centrale pour jouer des notes très délicates et espacées dans le temps, quelques-unes seulement. J’ai allumé un lampion pour ma marraine avant de partir.

Mette Rasmussen + Toshimaru Nakamura + Martin Taxt

C’est ensuite avec une certaine fébrilité que nous nous sommes dirigés vers le Carré 150, salle du concert de Mette Rasmussen, artiste que j’avais déjà vue en prestation à Montréal dans le cadre du festival Suoni Per Il Popolo avec le batteur Chris Corsano, et dont j’avais vraiment apprécié le talent et l’énergie.

Crédit : Martin Morissette

Sur scène, on retrouve Martin Taxt et son « tuba microtonal en do » agrémenté d’un dispositif relié à un ordinateur portable lui permettant d’étirer des notes en glissant son doigt sur une bande sensible. On entend aussi le bruit des clés qui est amplifié. Toshimaru Nakamura œuvre quant à lui à la « console de mixage sans entrées » avec laquelle il produit une trame sonore très dense et sombre. Rasmussen « chante » dans son saxophone alto en faisant divers bruits et sons donnant l’impression d’entendre une conversation indistincte et brouillée. Elle joue aussi de courtes lignes mélodiques en boucle tandis que Nakamura sature l’air de plages d’électro apocalyptique, lance des bombes sonores ici et là et superpose des drones puissants.

Par ailleurs, on en parle trop peu souvent, mais les éclairages à tous les spectacles auxquels j’ai assisté depuis la veille les ponctuent de façon appropriée et savent mettre ce qu’il faut en valeur, au bon moment. C’était aussi le cas dans ce concert. Et tandis que je m’émerveille du talent de Nakamura, je réalise que j’ai vu beaucoup de gens manier les machines électroniques depuis le premier concert que j’ai vu la veille, mais que c’est cet artiste en particulier qui réussit à me toucher et à se démarquer par son jeu et son approche en la matière. Son installation est plutôt minimale comparée à d’autres, mais il en exploite le plein potentiel de façon sentie et créative. C’est un réel plus pour le trio.

C’est aussi parfois Taxt, avec son tuba, qui maintient un drone rappelant un moteur d’avion tandis que Rasmussen lance des motifs répétitifs avec fougue. C’était la deuxième fois que je voyais cette jeune saxophoniste suédoise, et je la reverrais assurément. Pour ce qui est de Toshimaru Nakamura, il se produira en duo avec Lori Freedman au Japon en 2018 (tiens, tiens !), ce qui fait un peu loin pour aller le voir, mais espérons qu’il reviendra faire un tour au Québec au cours des prochaines années.

Anna Homler — Breadwoman

Anna Homler était déjà venue au FIMAV en 2013, en duo avec Sylvia Hallett. Cette année, c’était avec Breadwoman, une performance reprenant des pièces de son album Breadwoman & Other Tales paru en 2016. Anna Homler est au centre de la scène derrière une table sur laquelle des miches de pain rondes sont disposées devant un rail supportant plusieurs micros. Sur le rythme martial de la pièce « Ee Chê » créé par Jorge Martin qui s’occupe des synthés analogiques, Homler chante des phonèmes qu’elle répète pour créer un effet hypnotique. Et comme elle recourt à des phonèmes plutôt qu’à des mots, il en résulte une impression de chant des plus primitifs.

Crédit : Martin Morissette

Mais le plus spectaculaire est sans aucun doute Breadwoman elle-même, soit une femme habillée de haillons dont le visage est une miche de pain bosselée, ce qui lui confère un aspect plutôt monstrueux et inquiétant. La femme-pain, interprétée par la danseuse Maya Gingery, est un personnage aux gestes très lents, qui commence par faire une chorégraphie avec ses mains en restant assis sur une chaise, les pieds bien campés dans le sol. Et lorsque Breadwoman se lève, elle semble d’une grandeur saisissante. Elle se dirige vers une table où sont déposées des baguettes de pain et s’en sert pour faire une chorégraphie étrange, où elle les place en croix, comme pour repousser un diable qui se trouverait dans l’assistance.

Pendant ce temps, Homler fait des bruits au moyen d’objets et de jouets de toutes sortes et Breadwoman continue de se mouvoir au rythme d’une présence fantomatique. Le moindre de ses mouvements est fascinant, et l’observer bouger lentement au son des expérimentations vocales de Homler produit un effet théâtral incomparable. Par ailleurs, le personnage de Breadwoman créé par Homler n’est pas qu’épeurant, cette femme en loques a une sensibilité touchante; elle s’émeut lorsqu’elle touche à du pain, est constamment attirée par la lumière comme s’il s’agissait d’un Dieu, porte délicatement ses mains à visage, comme pour vérifier son identité, s’assurer que le masque demeure en place. Elle ouvre une miche ronde en deux et en sort des plumes multicolores dont elle parsème la scène. Et se rassoit très lentement, toujours en exposant son faciès improbable au public.

Mon FIMAV 2018 s’est terminé par un repas sur la terrasse plein soleil du Shad Café, j’en ai profité pour féliciter Toshimaru Nakamura qui y était aussi et dont j’ai particulièrement aimé la prestation. Il m’a parlé au passage de l’admiration sans bornes qu’il a pour Martin Tétreault et de l’influence immense de ce dernier auprès des musiciens de la scène expérimentale japonaise. Ce sont aussi des rencontres comme ça que permet ce festival. Le soleil s’est couché sur Victo et j’ai dû retourner dans mon île, rendre le char loué qui m’a permis d’assister à une pléthore de performances uniques dans un temps record. Au final, Victo c’est tout près, c’est juste là, et y’a tout ça qui s’y passe chaque année.

Crédit photo: Martin Morissette

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